Chapitre 6: le chant

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Le souffle du prince était haletant. Il n'avait cessé de courir, regardant droit devant lui, ne sachant où aller. Il courrait, c'était tout. Il s'échappait de cette mascarade désastreuse, fuyait cette foule oppressante, s'éloignait du regard sévère de son père. C'était cela. Il partait, tout simplement.

    Il avait traversé les jardins du palais, dévalant les vastes allées de sables. Ses pieds avaient manqués maintes fois de trébucher dans l'herbe verte et grasse. Mais il continuait. Sans savoir où il allait.Il s'en fichait. Ce parc, voilà 18 ans qu'il le parcourait. Il le connaissait comme sa poche.

Il venait de quitter l'allée des buissons et s'enfonçait à présent dans le petit bois du château. C'était une forêt minuscule, perchée au sommet d'une colline discrète, surplombant les jardins royaux. Elle était belle, circulaire, une clairière timide et silencieuse se cachait en son sein. Edouard aimait s'y réfugier quand il cherchait un peu de calme. Quand il voulait éviter les courroux de son père.

    Essoufflé, il atteignit enfin la vaste étendue d'herbe verte. Dans un long râle, il s'affala sur la pelouse. Les brins d'herbes et de fleurs vinrent lui caresser la peau, se glissant dans son col pour frôler malicieusement sa nuque blanche. Enfin, un peu de calme. Là, le regard perdu dans l'immensité magnifique du ciel sombre, il se sentait bien. Il était serein. Heureux. Seul.

    Les parfums de la nuit vinrent emplir ses narines délicates. Il ferma les yeux, respirant à plein poumons ce fumet délicat. Cette odeur humide et fraiche, ce mélange de pin et de bois, ces effluves de lavande et de jasmin... Oui, cette odeur-là, celle qu'il aimait tant. C'était l'odeur de sa jeunesse, l'odeur de son enfance. L'odeur de sa tristesse quand il avait peur. L'odeur de sa souffrance après avoir rencontré la haine sauvage de son père. L'odeur de sa mère quand il imaginait se perdre dans ses bras... Cette odeur, c'était tant de choses à la fois. Mais ce n'était pourtant rien. Rien que l'odeur d'une nuit de bal. Une nuit banale...

    Les yeux toujours fermés, Edouard étira ses bras. Ses doigts vinrent caresser le sol terreux. Il sentait la respiration de la terre sous sa peau, son souffle dans ses cheveux. Un chant vint bercer le creux de son oreille. Le chant de la Terre. Un chant timide, fragile. Un chant doux et délicat. Un chant fort et somptueux. Un chant qui paralysait le jeune prince. Il se figeait. Sa respiration saccadée se calma. Il voulait entendre le chant de cette Terre qui le protégeait. Il voulait savoir ce qu'elle voulait lui dire. Il voulait écouter ses conseils, découvrir enfin pourquoi il était là.

    La Terre lui parlait. Cela semblait incroyable. Les battements de son cœurs s'étaient subitement calmés. Il écoutait sagement cette voix si belle bercer son sommeil. Cette terre si grande le porter contre lui. Il n'osait y croire.

    Le son de la voix s'amplifia. Edouard ouvrit une paupière. Puis l'autre. Le chant continuait. Ce n'était pas la Terre. Non. Ce n'était pas la Terre. C'était quelqu'un. Une personne. Oui. Quelqu'un, à quelques mètres de lui faisait monter vers les cieux une voix aussi douce que magnifique.

    Il se redressa aussitôt. Tendant l'oreille, écoutant du mieux qu'il pouvait. Son regard balayait l'obscurité de la nuit. Il voulait savoir d'où venait cette voix qui l'ensorcelait. Découvrir à qui appartenait se chant qui l'envoutait. Il était comme happé par ce son, ces notes, cette douceur inégalée. Jamais il n'avait entendu pareille chose. Jamais son cœur n'avait battu aussi fort. Il ne pouvait expliquer ce qu'il ressentait. Il était comme emporté par un flot de sentiments indescriptibles qui le guidaient vers cette voix inconnue. Inconnue mais juste merveilleuse.

    Il arriva à l'orée de la forêt. En bas, il entendais toujours cette voix qui l'appelait désespérément. Oui, elle était juste là, à quelques mètres. Il sentait son souffle contre sa peau, ressentait les vibrations de sa voix dans son corps, les battements de son cœurs tout contre sa poitrine. Là, vers les écuries royales, juste derrière ce bosquet. La voix. Elle était là.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant