Chapitre 13 : Rue du pont de bois

2.8K 246 39
                                    


            Adrien avançait d'un pas rapide, faisant innocemment tanguer son sac le long de sa cuisse. Ses gestes étaient vifs et sa démarche assurée. Derrière lui, les mains moites et l'allure timide, Edouard le suivait. Il ne le quittait pas du regard, comme aimanté par la silhouette du garçon. Des yeux, il dessinait l'angle osseux de ses épaules, la courbe délicate de ses hanches, le mouvement incessant de sa besace. Le vent dans les cheveux du noiraud laissait miroiter des vagues sombres et impétueuses. Cela en était envoutant, fascinant. D'un mouvement maladroit, le prince vint tirer sur le bas de sa chemise, secouant vivement la tête. Il baissa les yeux. Il ne comprenais pas pourquoi ce garçon le captivait autant. C'était étrange. Il se sentait aspiré, liquéfié de l'intérieur, à chaque fois qu'il le voyait. Jamais il n'avait ressentie pareilles sensations.

Tout autour d'eux, les domestiques les fixaient d'un air curieux. Si Adrien n'avait aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler le prince de ces lieux, ce n'était pas le cas de l'immense majorité des employés du château. Médusés, tous observaient le jeune prince de Troye, vêtu d'une pauvre chemise, chaussé de bottes crouteuses, le visage sale et les cheveux en bataille, trottiner derrière un malheureux garçon d'écurie. Le spectacle devait faire peine à voir. Edouard baissa la tête, dépité. Pressant le pas, il se plaça au niveau du noiraud. Ces regards pesaient sur son dos. C'était tout autant de charges, de jugements. Le poids de la honte. Il serra les poings et ferma les yeux, priant pour que ni son père ni son crétin de cousin n'aient l'idée saugrenue de regarder par la fenêtre à cet instant précis. C'était signer son arrêt de mort.

A ses côtés, loin de prêter attention aux regards insistants que l'on portait sur eux, Adrien observait son camarade du coin de l'oeil. Un sourire amusé étirait ses lèvres fines. L'air timide et maladroit du brun le faisait doucement rire. Mais il n'en montrait rien et continuait à avancer sans rien dire, une main posée sur sa besace.

Enfin, les deux jeunes hommes arrivèrent devant l'entrée du palais. Deux immenses battants de bois faisaient office de porte. Imposante, cette dernière semblait avoir été moulée dans la muraille de pierre tant elle s'imbriquait si parfaitement avec les briques blanches et dures. Un florilège de gravures de fer et d'acier parsemait ses parois fatiguées. Le long de ses flancs meurtris, quelques pousses de lierre venaient recouvrir des reliures noires et ternies par le temps. Les battants avaient été ouverts. Tout grands. Ce n'était pas vraiment un fait extraordinaire, les portes du château restaient continuellement accueillantes durant la journée et en temps de paix. Seule une poignée de gardes en assurait la surveillance. Toutefois, avec la menace montante du côté de l'empire de Remany, le roi avait décider d'augmenter les effectifs de gardes et de durcir les contrôle d'ouverture et de fermeture des portes.

Une petite baraque de pierre, couverte de chaume et de paille, avait été bâtie à côté de la muraille. Deux gardes, vêtus d'uniformes bleus et rouges, leurs casques profondément enfoncés sur leurs crânes, observaient d'un air absent les allées et venues des domestiques. Des cernes bleutées se dessinaient sous leurs paupières tandis que des rides de fatigues creusaient leurs visages épuisés. L'un d'entre eux avait la joue barrée par une cicatrice. Relevant la tête, Edouard les fixa d'un air intrigué. Jamais jusqu'à présent il n'avait prêté attention aux soldats du château, jamais il n'avait remarqué qu'une telle fatigue pouvait se peindre sur ces visages froids. Leurs peaux pales et leurs mines aigries leur conféraient un air triste et sévère. Comme s'ils avaient déjà vécus milles batailles. Edouard frissonnât. En fait, jusqu'à présent, il n'avait jamais réellement pris conscience de l'existence de ces individus, de ces hommes en armures forts et braves qui assuraient chaque jour la sécurité de son malheureux royaume, parfois au péril de leurs propres vies. Oserait-il lui, aller se battre pour défendre ce pays ? Il ne savait pas. Il ne pensait pas. Il n'y avait jamais pensé... Pour quoi irai-t-il se battre d'ailleurs ?

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant