Chapitre 59 : Immenses nouvelles

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Il y avait foule. Du monde. Partout. Trop de monde. Trop de bruit. Les êtres se pressaient les uns contre les autres dans des froissements de tissus et des gloussements exagérés. L'air était imprégné d'une insupportable moiteur. Il faisait chaud. Les lourds rayons de chaleurs que laissaient entrer les rideaux grands ouverts n'arrangeaient guère la chose. Édouard croyait étouffer. Le voici revenu dans l'antre de ses cauchemars.

La cérémonie d'intronisation du roi n'avait pas encore eu lieu. Cette dernière aurait dû suivre les adieux de l'ancien détenteur du titre, Hugues D'Aurhobeau, mais pour des raisons encore inconnues, l'instant fatidique avait repoussé à plus tard. Personne n'avait semblé s'en plaindre. Le jeune bouclé s'était même étonné de s'en réjouir. Mais cet écart du monde fut de courte durée. Fourrant dans ses bras un plateau, Pol l'avait projeté dans la vaste salle de bal, l'empressant d'aller bien vite se positionner auprès des marches du trône. Son rôle se jouait là, à quelques mètres du pouvoir. Pilier docile et invisible. Sa soucoupe chargée de verres sur une main, la seconde repliée dans le dos, il fixait l'étrange spectacle auquel il se mêlait. Une furieuse envie de vomir lui dévorait la gorge.

Rien n'avait changé. Si la couronne s'apprêtait à aller orner une nouvelle tête, tout apparaissait parfaitement identique à ce qu'il avait quitté. Les mêmes visages hypocrites, les mêmes rires insupportables, les mêmes manières déplacées. Les amis de la veille étaient les ennemis d'aujourd'hui. Les fidèles alliés du roi de Troye s'étaient gentiment rangés aux côtés de Remany. Sans protester. Sans rien demander. Rien. Ces coqs ridicules qu'Hugues avait nourris et abreuvés, invités et protégés, une basse-cour de misère pathétique qui n'avait pas hésité un seul instant de venir assister à la chute de leur ancien mécène. Là où s'étalait le faste et la luxure, Édouard ne parvenait à voir que la laideur des mensonges, le spectre de la traitrise et le dégoût de la débauche. Des parasites. Des profiteurs. La maladie rongeuse et véreuse d'un monde où l'honnêteté et l'honneur n'avaient ni place, ni foyer. Cet amas de porcs qui n'avaient rien mais qui s'octroyaient le droit suprême de tout aspirer, de tout avaler. Et surtout de tout détruire.

Le temps s'écoulait lentement. Trop lentement. La foule toujours plus compacte s'entassait encore et encore dans l'immense salle de bal. Salle du trône. Salle de cérémonie. Des domestiques en redingote et costume se faufilaient dans les recoins. Par moment, un noble ou une duchesse s'approchait de lui afin d'ôter à son plateau un verre ou deux. Un court instant durant lequel Édouard manquait de perdre la balance réfléchie de son bras, celui-ci si peu habitué au particulier travail de service. Mais aucun n'incident n'était survenu. Pas encore du moins.

Le brouhaha insupportable de la masse s'intensifia. Des têtes éminentes avaient fait leur apparition dans l'immense décors. Édouard tendit le cou. La broussaille de ses sourcils factices couvrait une partie de son champ de vision. Il avait l'air pathétique. Mais il les vit tout de même, ces trois hommes. Trois hommes aux chevelures enturbannées et aux longs manteaux sertis de broderies mauves. Trois hommes dont les épaisses ceintures rembourrées dissimulaient d'immenses sabres aux lames courbés. Les célèbres sabres de la région de Mortepierre. Les émissaires du royaume des Saäm. Ils étaient venus.

Les nouveaux venus ne semblaient pas le moins du monde s'émouvoir des murmures et autres messes basses qu'avait suscité leur entrée. Parcourant la salle de leurs pupilles sombres et calmes, ils progressaient de leur pas lent jusqu'à aller se positionner non loin des marches, tout prêt d'Édouard et de son plateau. Une odeur agréable de girofle et de cannelle s'échappait de leurs vêtements. L'apprenti domestique planta son regard devant lui. Ne pas se laisser distraire.

Marioti, souverain du Royaume de Cinha et allié de longue date de Remany, avait aussi fait le déplacement, accompagné de sa cour. Une cour par ailleurs en grande partie composée de femmes aux larges décolletés et aux robes colorées. Des femmes qui riaient plus que nécessaire autour d'un roi gras et vieillissant. Sa barbiche grisonnante ainsi que ses petits de yeux de rats répugnaient profondément Édouard. Cela devait d'ailleurs en répugner bien plus d'un sur cette terre. Mais Marioti était un roi. Et un roi, on se devait de l'aimer. De le feindre tout du moins...

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant