Chapitre 36 : Quelque chose à perdre

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Les rayons du soleil venaient se glisser sous ses paupières. Petits halos de lumière désagréables et envahissants qui chassaient les nuages embrouillés de ses rêves. Les ténèbres s'évaporèrent, dévorés par ce feu étincelant et cette chaleur nouvelle. Édouard étouffa un grognement. Il avait le corps embrouillé, entravé de chaine lourdes et molles. Affres de la fatigue. Il entrouvrit un œil. La lumière se fit plus vive. On avait ouvert les rideaux. Quelle idée.. !

Retournant dans le renflement confortable de ses couvertures, le jeune héritier s'accorda un dernier instant de répit, ultime repos avant l'affrontement quotidien de cette énième journée. Les vagues de l'atonie se répandirent lentement dans chacun de ses muscles. Il s'apprêtait à sombrer une fois de plus quand une odeur étrange autant qu'agréable vint titiller l'intérêt de ses narines. Le doux soupir d'un pain grillé, surmonté d'un souffle de bois, de terre, il ne saurait dire. Un parfum qui vint bien rapidement ébranler son âme. Un parfum dangereusement envoûtant.

Fronçant les sourcils, le prince ensommeillé ouvrit une seconde fois sa paupière paresseuse. Les éclats du jour étaient devenus plus doux, suffisamment tamisés pour laisser apercevoir dans la couronne de leurs flambeaux le sourire étincelant d'un homme. Deux pupilles d'un bleu profond. Un océan de pureté, perle de bonheur, larme de beauté. Édouard s'était figé, subjugué par l'intensité somptueuse de cette apparition. Un rêve. Il devait être en train de rêver. Oui. C'était cela. Un doux rêve ensoleillé. Il ne fallait surtout pas qu'il se réveille.

-    Bonjour bel endormi, bien dormi ?

Édouard sursauta. Le rêve avait parlé. Non. Ce n'était pas un rêve. Il battit plusieurs fois des paupières. Les tâches de couleurs disparurent, laissant place au dessin merveilleux d'un visage. Puis d'un corps. Un sourire. Bon Dieu. Adrien. Juste là. Assis sur son lit. Un plateau entre les mains. Coup d'éclair. Les souvenirs de veille se déversèrent en flots déchainés dans son esprit. Adrien. Le jeu. Le document. L'alcool. Adrien. Le soldat. Le diner. Adrien. Il se mordit violement les lèvres. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Quel crétin il faisait ! Comment avait-il pu oublier une chose pareille ?

Léger rire. Édouard tressailli. Un délicieux sourire au coin des lèvres, une tartine à peine grignotée dans la main, Adrien fixait avec un amusement notoire le visage hébété du jeune noble. Secouant la tête, il vint planter ses dents dans le croustillant odorant du pain, avant de s'assoir un peu plus à son aise sur l'imposant et décidément affreusement confortable lit princier.

-    Ma foi, déclara-t-il sans démordre de son indécrottable sourire, les petits déjeuners royaux ne sont pas trop mal... Je ne sais pas s'ils valent mon lait caillé et mon pain rassît, mais accordons leur tout de même le mérite d'être mangeables.

Nouveau rire. Édouard le regardait en silence, la bouche entrouverte, les cheveux en bataille. Il ne parvenait pas à croire à la beauté et au bonheur de ce spectacle. Et il ne comprenait pas non plus pourquoi cela le réjouissait autant. Mais Adrien était là, souriant, irradiant de malice et gaîté, plus éblouissant que jamais. Ses mèches folles avaient été coiffées vers l'arrière de son crâne, révélant le rebondit délicat de ses tempes et la douceur diaphane de son front. Quelques miettes de pain parsemaient le creux de sa bouche. Souillures délicieuses qui témoignaient avec tendresse de la gourmandise du garçon. Des miettes du petit déjeuner princier. Édouard se figea brusquement. Le petit déjeuner. Son petit déjeuner. Porté par une servante attentionnée. Dans sa chambre. Elle était rentrée. Elle avait dû voir. Elle avait sûrement dû voir. Adrien. Lui. Ce spectacle effarant. Elle en avait parlé. Son père savait. Il allait venir. Déchainer ses foudres et ses colères. Abattre Adrien. Son espoir. Ses rêves. Tout. Il était fichu. Étouffant le cri douloureux de sa peine, le prince tourna un regard alarmé vers le garçon. Son visage était brusquement devenu aussi blanc qu'un paysage d'hiver. Adrien fronça les sourcils, intrigué, avant de soudainement détendre les traits crispés de son visage. Un léger rire s'échappa de ses lèvres.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant