Chapitre 15 : Reminiscence

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Edouard planta sa fourchette dans son dernier morceau de gâteau puis l'engouffra dans sa bouche. Une explosion de saveur vint une fois encore envahir ses papilles, fondant sur sa langue, se déversant dans sa gorge pour finalement venir emplir son estomac comblé. Ces desserts chocolatés n'étaient pas vraiment monnaie courante au château, mais depuis l'arrivée de la reine et de sa fille, le roi déployait des trésors de pâtisseries pour charmer ses invitées. Une stratégie de séduction par la gastronomie en quelques sortes. Le jeune prince n'avait aucune idée de ce que pouvait en penser les deux souveraines mais lui était enchanté de ce soudain changement de régime. A ce rythme-là, il était partant pour épouser une princesse chaque semaine !

Saisissant la serviette blanche qui trônait sur ses genoux, il vint promptement tamponner le coin de ses lèvres. Son père l'avait prévenu, une bavure et il le décapitait. Enfin, il ne l'avait pas tout à fait dit comme cela, mais ses propos le sous-entendaient clairement. Et Edouard n'avait aucune envie de subir une seconde fois ses furies ce soir. La journée avait été bien trop belle pour terminer gâchée par une tâche malvenue.

Face à lui, les joues teintées de rouge et les cheveux cachés sous une lourde coiffe, la reine Clothilde tenait une discussion animée avec le roi, interrompue par moment par les commentaires notoires d'Harry. Assis sur sa chaise, le dos droit, le jeune prince ne comprenait rien à ce que les trois nobles se racontaient et ce n'était pourtant pas faute d'essayer. Le fait est qu'il n'avait tout simplement jamais été informé de l'état du royaume ainsi que des tenants de l'accord mené avec Albinos. Tout allait beaucoup trop vite pour lui.

Engloutissant ses vérines de poissons, la monarque avait tour à tour évoqué les richissimes minerais Albinois et l'économie troyenne. Par la suite, elle s'était extasiée des prouesses agricoles du royaume tout en avalant une compoté de légumes, pour venir, au détour d'un fondant, s'enthousiasmer des travaux à venir. Quels minerais ? Quels travaux ? Les infrastructures qu'évoquaient la reine étaient étrangères à Edouard, la frontière albinoise ne lui évoquait rien et la culture maritime de son royaume lui passait complètement par-dessus la tête. C'était un vide qui emplissait son esprit. Le néant. Quel genre de prince était-il pour ignorer tant de choses ? Il n'était pas un prince. Non. Il n'était qu'un pantin. Une marionnette sans âme. Cette dernière pensée finit de l'achever.

Un violent coup sur la table le ramena aussitôt à la réalité. Il se redressa brusquement, les sens aux aguets. A ses côtés, son père s'était levé, essuyant sa moustache grisonnante à l'aide de sa serviette. Il lança un regard assassin à son fils. Ce dernier baissa les yeux. Qu'avait-il encore fait?

- Non, grinça finalement le roi en reposant le tissu sale sur la nappe, Edouard doit sûrement être fatigué après une telle journée.

Il était quoi ? Edouard fronça les sourcils, relevant la tête vers son père. Mais qu'est-ce qu'il racontait ? Le vieil homme se tourna à son tour et plongea ses petits yeux clairs dans ceux de son fils.

- N'est-ce pas Edouard ? continua le roi avec une colère contenue. Cette journée t'a épuisée et tu vas te retirer dans tes appartements pour te reposer maintenant, je me trompe ?

Le jeune homme bâtit des paupières puis hocha brièvement la tête. Ce n'était assurément pas une question. C'était un ordre. Même le plus parfait des idiots aurait pu le comprendre.

- Oui, oui mon père, balbutia-t-il. Vous avez parfaitement raison. Je me sens fatigué, je vais de ce pas aller me reposer.

Le roi eut un hochement de tête entendu puis se redressa. Contournant son siège, il réajusta sa veste et s'éloigna de quelques pas. Les muscles du prince se détendirent légèrement. Il avait évité la tempête. Certes il avait encore eu l'air d'un imbécile, mais il avait évité la tempête. C'était tout ce qui comptait à l'instant présent.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant