Chapitre 57 : Jugement dernier

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Combien de fois les poètes ont-ils dépeint le monde à l'image d'un collier que l'on aurait serti de perles de bonheur ? Combien de fois les récits des hommes ont-ils vanté la puissance des sourires face à la faiblesse des grimaces ? Combien de fois l'amour a-t-il suffit à faire fondre la plus affreuse des cupidités ? L'univers nous est constamment présenté comme le plus parfait des paradis, un entrelacement de bienveillance et de douceur, une mer accueillante de crème et de lait, une harmonie des forces où le bien est l'éternel vainqueur du mal. Illusions d'utopistes et de grands rêveurs. Illusions factices et trompeuses. Car le monde est moult choses, certes, mais il n'est pas le bien, et moins encore l'opposé du mal. Le monde n'est pas un de ces songes d'enfant où règnent fées et châteaux enchantés, le monde est tailladé, fissuré, brisé. Le monde est ce gouffre sombre et glacial au fond duquel les bons sentiments ne servent à rien face au spectre de l'injustice et à la cupidité des êtres. C'est un bourbier odorant où s'empêtrent les destins brisés pour ne laisser survivre que l'ombre des lois gâchées. Les lois des plus forts, celles qui écrasent les espoirs des plus faibles. Le monde n'est pas l'œuvre d'un poète ni le tableau d'un grand peintre, non. Le monde est une poubelle où s'entassent tout ce que l'humain créer de plus immonde et dégueulasse. Voilà, la vérité derrière les belles paroles et les jolies couleurs. Voilà ce que nous cachent les menteurs sous couvert de beaux discours.

Lorsque deux âmes se rencontrent et que leurs cœurs battent à l'unisson, lorsque leurs émotions commencent à se mêler et que leurs soupirs n'ont d'égal que le désir de cet autre, plus rien, non rien, ne semble alors impossible. L'univers tout entier se transforme en un immense terrain de jeu où s'épanouissent leurs danses et leur éclat. Ils ne sont plus mortels, car leur histoire est devenue éternelle. Ils ne sont plus vulnérables car cette main dans la leur s'est faite le plus puissant des boucliers. Bien que simples humains, ils s'imaginent titans, dieux dans leur unique réalité. Le mythe de l'amour les rend vainqueurs. Il se veut plus fort que tout, au-dessus de règles et des lois, bien par-delà les guerres et le mépris des hommes. L'amour est cette flamme libératrice animant une passion plus grande encore que les sommets des montagnes. Rien ne leur résiste plus, car rien n'existe plus en dehors de leur union. Rien. Mais là encore, il ne s'agit que d'un mythe, d'une vaste blague, un humour de très mauvais goût. Car la passion ne dure qu'un temps, tandis que la réalité, elle, est éternelle. Et cette dernière frappe bien plus fort encore que les rêves naïfs des amants.

Nul doute que Maria et Ulrich se sont aimés. Nul doute que leurs yeux et leurs bouches ont fait danser dans les cœurs et sur des draps les promesses cruelles du mensonge de l'amour. Oui, là, dans ce désert des régions hispaniques, sous la caresse tendre des soleils couchants, enlacés l'un à l'autre pour mieux plonger aux devants d'une existence que tous deux imaginaient radieuse. Ils se sont aimés. Ils se sont aimés car la chaleur de ces sourires et la douceur de ces soupirs étaient devenus ce cocon protecteur dans un univers de larmes. Ils se sont aimés car en s'enfonçant tout entier dans cet autre ils parvenaient à oublier leurs propres malheurs. Bien plus que la fortune et l'opulence, c'était l'éclat calme et froid d'un regard et la flamme rassurante d'une étreinte que Maria était venue trouver. Un peu de chaleur humaine dissimulée sous un masque de chair royal. C'était l'impétuosité des braises et la chaleur déconcertante d'un rire dans lesquels souhaitait se perdre Ulrich. Loin des tourments, à l'abri des furies de la guerre et de l'angoisse de la cour. Loin de ce jeu de fou et de ces apparences étouffantes. Oui ils se sont aimés. Car chacun réveillait en l'autre une pulsion qu'ils avaient crue éteinte. Car ces caresses et ces promesses étaient devenues un refuge. Car cet autre s'était fondu dans leur chair et étouffait de ses baisers le torrent de leurs misères.

Mais l'ombre de la réalité ne rôde jamais bien loin des amants enlacés. Enfouis derrière ses montagnes, un royaume en guerre réclamait son souverain. Bien loin de ces tourments, des soupirants délaissés appelaient dans leurs bras leur maitresse effrontée. Le monde reprenait ses droits, volants aux doux rêveurs l'étincelle de leurs songes. Ils avaient décidé de fuir, ensemble, de quitter cette terre qui avait vu naitre leur amour, persuadés qu'à deux ils seront toujours plus forts que la haine. Que rien ne pourrait ô grand jamais faire vaciller leur union. Amoureux naïfs. Parfaits idiots. L'avenir avait déjà pour eux scellé le destin.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant