Chapitre 32 : Haute trahison

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« Les entrailles des montagnes de Mortepierre regorgent de matériaux et de métaux indispensables à la conception d'outils d'artillerie, tels que le cuivre ou le fer. C'est ce point précis que sa royale majesté, le roi Godefroy, a mis en avant lors de l'accord de paix conclu avec le souverain du royaume des Saäm à la suite de la guerre de la Grande Succession. Ce traité signé entre les deux couronnes a permis à notre glorieux royaume de restaurer la grandeur et la puissance de son armée d'antan, connue jusqu'alors comme étant la plus redoutable de la région, sur terre comme sur mer. Fin stratège, diplomate de talent et négociateur infaillible, le nouveau monarque est parvenu en l'espace de quelques années, à rétablir la suprématie du royaume, grandement fragilisée par les années de guerre et de règne d'Acelin-le-jeune et de Thibault-le-mal-aimé. »

Les doigts agrippés aux boucles de ses cheveux, le visage enfoui dans l'ombre de ses coudes et son regard rivé sur les quelques lignes qu'il venait de lire, Edouard laissait son esprit dériver dans les recoins perdus de son crâne. Il avait déambulé plusieurs heures ce matin, seul dans les vastes couloirs du palais, remémorant avec douleur les déboires désolants de la veille. Il avait marché ainsi, abandonné et pitoyable, jusqu'à ce qu'une idée vienne lui traverser la tête. Une idée que d'aucuns auraient qualifiée de génie, d'autres de risible, voire de pathétique. Lui ne l'avait pas qualifiée. Cela ne lui était pas venu à l'esprit. Il voulait tout simplement savoir. Son père refusait de le prendre au sérieux. Il ne savait même pas si ce dernier avait un minimum considéré sa découverte. Tout ce dont il était certain, c'était que le monarque le méprisait. Mais cette information était loin d'être une nouvelle incroyablement affriolante.

Ces longues déambulations à travers les corridors du château l'avaient mené à la conclusion suivante : il en savait trop peu. Trop peu sur son royaume, son histoire, son pays. Sur son père même. Son champ de connaissances était extrêmement réduit, et personne ici, encore moins le souverain, ne souhaitait le voir s'élargir. Pour espérer un jour s'attirer les lumières du roi, il devait tout d'abord récolter celles du savoir. Et un mystère restait à éclairer. Le mystère Julianha d'Aurhobeau. Alors il s'y était mis. Délaissant les couloirs du palais, le jeune prince de Troye avait plongé ses deux mains dans le gouffre mystérieux des études, épluchant scrupuleusement d'épais ouvrages d'histoires et des recueils familiaux. Mais de ces éprouvantes recherches, il ne tira qu'une simple et vaine conclusion : Godefroy d'Aurhobeau avait été un roi exceptionnel comme on en comptait si peu, et Julianha ne donnait aucun signe de vie. Bref, retour au statu quo. Génial.

Un soupire fatigué s'échappa de ses lèvres, preuve flagrante et irrépressible de son échec. Edouard secoua la tête. Mais qu'avait-il cherché à faire exactement ? Qu'espérait-il ? Trouver soudainement la clé de ses malheurs entre les lignes étroites de ces bouquins poussiéreux ? Voir brusquement son avenir se faire plus radieux en découvrant un mot inconnu ? Révéler au grand jour un secret que nul n'aurait jamais imaginé ? Imbécile. Les solutions ne se trouvaient jamais dans les livres. Ce n'étaient que des mythes, des légendes. Des illusions d'enfants. Comme Éléonore le lui avait si aimablement rappelé, ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire. Si supercherie il y avait, elle ne se trouvait assurément pas consignée dans un de ces bouquins.

Le battant de la porte vint claquer contre le mur, tirant un prince désespéré des méandres affligés de son esprit. Une bourrasque brune. Un éclair de lumière violette. La princesse surgit dans la pièce, refermant aussitôt la porte derrière elle. Elle se précipita vers le jeune noble. Ses longs cheveux détachés s'écoulaient comme une cascade agitée sur ses épaules.

- Ah, mon ami ! s'exclama-t-elle d'une voix soulagée. Enfin je vous trouve !

Réajustant le tissu désordonné de sa robe, elle se laissa retomber sur une chaise, juste aux côtés de l'homme qui l'observait d'un air perdu. Que venait-elle faire ici ? Et pourquoi cette tenue si négligée, elle qui d'ordinaire était si parfaitement vêtue ? La jeune femme lui adressa un sourire épuisé.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant