Chapitre 56 : Une offre

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Le vent s'engouffrait par les fenêtres ouvertes, faisant voltiger les longs rideaux de tissu mauves. Le tapis de nuages qui encombrait le ciel conférait aux rayons cachés du soleil une sombre luminosité. On avait allumé les lustres de la vaste pièce. Des lustres couverts d'or et de pierreries qui illuminaient de leur douce chaleur voilée les recoins cachés de l'appartement. C'était le milieu d'un tendre après-midi, pourtant il semblait à tous que le soir pointait le bout humide de son nez.

Assit sur un fauteuil de velours, les avant-bras reposant sur ses cuisses et le regard rivé vers le sol, dos vouté, Édouard gardait un silence terrible. Son esprit s'activait à toute allure, son cœur, plus vite encore. Il ne parvenait pas à saisir l'étendue de sa chance. Il avait suffi d'une courte matinée, d'une jeune fille remontée par des remarques agacées et d'un sympathique numéro de charme, pour qu'il se retrouve ici, dans ce luxe et ce confort. Dans ce palais qu'il avait toujours voulu fuir. Au cœur des plus lourds secrets du royaume. Oui, juste ici, assit dans un des sofas de la princesse. À attendre la venue de son destin.

Comme convenu, Éléonore était revenue. Seule là encore, dans le bazar miteux de Randalf. Édouard avait encore le souvenir de ses pupilles sombres, de ses joues rouges de colère et de ses cheveux en bataille. L'œuvre d'un Harry au sommet de sa gloire. Elle l'avait rencontré le matin-même, de manière nullement préméditée. De quoi enchanter un réveil qui se faisait chaque jour plus difficilement supportable. Face à cet homme de tous les malheurs, elle avait osé réclamer des comptes, son dû. Elle voulait qu'il la déleste enfin de ses chaînes, comme il le lui avait si formellement promis. Mais le duc n'avait rien voulu savoir. Ou plutôt, n'avait-il pas même daigner l'écouter. Fort de sa victoire récente, enivré par cet horizon qui lui apparaissait divinement radieux, il s'était vanté de son mariage, de sa réussite. Moquant les fiançailles ratées de son interlocutrice et glorifiant les charmes puériles de sa future épouse. La princesse était partie en claquant la porte, sous les ricanements amusés du diable en personne.

Non que le récit de ces mésaventures ai réellement surpris Édouard, cela apparaissait d'avantage comme un ultime coup de pouce concédé par le destin. En effet, remontée comme jamais auparavant, Éléonore semblait prête à ébranler le royaume dans l'unique but de faire taire ce méprisant et odieux personnage. Lorsque l'identité du père ainsi que les ambitions folles d'Adrien lui avait été révélées, elle n'avait pu contenir plus longtemps ses désirs de vengeance et s'était aussitôt employée à rendre possible une rencontre entre le fils et son royal géniteur. Cachés sous des capuches, transportés dans un carrosse, propulsés par les charmes d'une jeune femme et guidés par ce passe-partout princier, ils eurent vite fait de s'infiltrer dans ses appartements. Les domestiques et femmes de chambre furent prestement congédiés. Éléonore s'en alla à la rencontre d'un certain seigneur séjournant dans ce même palais. Et ce fut tout. Voilà. Non, vraiment, Édouard ne parvenait à comprendre sa chance. Cette chance qui lui avait si souvent fait défaut. Il devait y avoir un problème. Il y avait forcément un problème.

Face à lui, de l'autre côté de la pièce, Adrien ne tenait pas en place. Ses jambes le baladaient d'un bout à un autre de l'espace, laissant son regard s'aventurer sur mille objets curieux, autorisant ses doigts à manipuler des babioles impensables. Inlassablement, il usait la semelle de ses souliers sur le tapis de velours. Son visage d'ordinaire si calme et rayonnant était présentement froissé par une angoisse nouvelle. Une peur inhabituelle. Un sentiment qu'il n'avait jusqu'alors jamais imaginé. La crainte, l'appréhension terrible de rencontrer un homme. Pas n'importe lequel. Un roi. Un ennemi. Un père.

La question de son père avait toujours été un sujet tu. Non qu'il soit réellement tabou, seulement, on ne l'évoquait pas. Sa mère n'avait jamais cherché à lui expliquer quoique ce soit et le regard des autres lui avait rapidement fait comprendre que, lorsque l'on était l'enfant d'une étrangère, sans mari et sans père, mieux valait-il faire profil bas. On ne cherchait pas à en savoir plus. Car généralement, il n'y avait rien à savoir. Rien de très glorieux en tout cas. Aussi, le noiraud n'avait jamais ne serait-ce qu'imaginé la figure de son père. Fiedrick avait d'ailleurs contribué à parfaitement réduire en miettes les derniers rêves qu'avait pu nourrir le garçon.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant