Chapitre 18 : Carottes

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Le dos appuyé contre l'écorce sombre de l'arbre et ses doigts grattant avec nervosité le bout de ses ongles, Edouard fixait en silence la semelle de ses chaussures. La brise légère du soir venait rafraichir son visage, soulevant doucement les boucles brunes qui jonchaient son front. Sa jambe tressautait sur le sol. Il était inquiet. Cela faisait quelques minutes déjà que le clocher de l'église avait frappé sept coups, et Adrien n'avais toujours pas pointé le bout de son nez. Son absence commençait cruellement à se faire ressentir. Inspirant une profonde bouffée d'air, le jeune prince tenta de chasser ces idées noires de son esprit. Il allait venir. C'était certain. Il l'avait promis.

Il faut dire que le jeune noble n'avait jamais été aussi en avance à un rendez-vous. Ni aussi bien apprêté. En effet, après avoir rapidement englouti les mignardises laissées par le domestique, il s'était empressé de se changer, troquant sa chemise et son pantalon boueux contre une tunique des plus simple et une culotte en toile brune. Son visage soigneusement lavé et sa peau libérée de toute souillure, il s'était attelé à sa chevelure, ramenant ses boucles sur son front, puis avait embaumé son corps de parfum. Ceci fait, il s'était planté devant la glace, bottes au pied. Fier du travail accompli. Mais cette fierté ne dura pas. Non. Tout l'inverse au contraire. A la vue de son reflet dans le miroir, ses épaules s'étaient aussitôt affaissées. Il était un crétin.

Quel genre de garçon de cuisine serait aussi bien accommodé après une journée de dur travail ? Quel genre de personne autre qu'un noble empesterait à ce point le produit de luxe ? La réponse était simple : personne, hormis un prince stupide tentant vainement de se faire passer pour un malheureux cuisinier. Cette constatation l'avait affligée et il s'était lourdement laissé retomber sur son lit, les mains sur la tête, abattu par sa propre bêtise.

Le clocher sonna un nouveau coup. 19h15. Edouard leva ses yeux vers le haut du mur. Scrutant les briques effondrées, il tenta de faire abstraction du temps qui s'écoulait et de l'éternelle absence du noiraud. Mais c'était peine perdue. Il ne voyait rien. Ni les fleurs discrètes et blanches du lierre qui recouvraient le mur, ni même la course rapide et laborieuse des fourmis entre ses interstices. Non. Il ne voyait rien. Son esprit entier était occupé par une crainte grandissante. Un tremblement glacé qui parcourait lentement son corps. Et s'il ne venait pas ?

Un froissement de feuilles mortes dans son dos le retira brutalement à ses démons. Les sens soudain aux aguets, inquiets, le prince fit volte-face pour se retrouver nez-à-nez devant le visage souriant d'Adrien.

-    Ed ! s'exclama le garçon en appuyant sa main sur l'arbre, le sourire aux lèvres. Je suis vraiment désolé d'avoir été aussi long.. ! Cet imbécile de quadrupède à grande crinière prénommé Luciano refusait catégoriquement de rentrer dans son box, et comme Monsieur Jean ne veut toujours pas que j'utilise une scie pour remédier à ce genre de problème... Enfin bref, je ne t'ai pas trop fait attendre rassure moi ?

Edouard resta figé sur place, les yeux grands ouverts et les bras ballants. Il était là. Les joues rosies, le souffle rapide et les cheveux en bataille certes, mais il était là. Devant lui. Bel et bien vivant. Et souriant. Oui, il était venu. Cela semblait incroyable. Le jeune noble secoua la tête.

-    Non, non. Ne t'inquiète pas, bafouilla-t-il avec une petite mine gênée. Je ne suis pas là depuis bien longtemps.

Non voyons, cela ne faisait qu'une petite demi-heure qu'il était planté devant son arbre à se morfondre d'angoisse. Une broutille. Il avait connu pire.

-    Ah, tu me rassure, se réjouit le noiraud avec un hochement de tête. Je m'en serais atrocement voulu de t'avoir fait trop patienter.. !

Edouard lui offrit un sourire rassurant, puis tous deux se tournèrent vers le mur. Ramenant sa besace dans son dos, Arien posa ses mains sur ses hanches et se tourna vers lui. Un air de défi se peignit sur son visage.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant