Chapitre 20 : Conversation nocturne

2K 200 56
                                    


Il faisait complétement noir au dehors. Seuls les rayons pales d'un vague croissant de lune éclairaient la petite clairière. Edouard leva ses yeux vers la voute céleste. C'était une nuit sans étoiles. Autour de lui, les ombres menaçantes des arbres formaient une impressionnante masse sombre, prête à l'engloutir tout entier. On ne distinguait pas les lumières du château, ni celles du petit bourg qui brulaient pourtant non loin de là. Une brise froide vint lécher son cou. Le prince frissonna.

- Au risque de me répéter, tu peux rester ici cette nuit si tu veux.

Edouard se retourna. Une main posée sur le cadran de la porte, l'autre enfoncée dans la poche trouée de son pantalon, Adrien le fixait avec un doux sourire. Un soupçon d'inquiétude étirait ses traits délicats. Le prince secoua la tête.

- Non, ne t'embête pas, je vais rentrer chez moi.

Passer la nuit ici. Cette idée l'enchantait plus qu'il ne l'aurait cru, mais il ne pouvait se le permettre. Si son père s'en apercevait, si quiconque s'en apercevait, alors s'en était fini de lui. Fini de ses rêves. Fini d'Adrien et de Ed. Et il ne pouvait accepter cela. Jamais.

Le noiraud hocha la tête d'un air entendu, les lèvres pincées.

- D'accord, souffla-t-il, je n'insiste pas...

La soirée s'était tranquillement terminée. Emporté par une tornade de musique, entrainé par les sourires taquins du garçon, Edouard avait fini par laisser aller son corps à cette expérience nouvelle. Le rythme de la mélodie animant ses membres, ses coups d'archer sur les cordes enflammant son cœur, il avait dansé. Mais ce n'était pas une de ces danses mornes et monocordes qu'il avait l'habitude de côtoyer, non, c'était une danse folle, une danse vraie. Une danse qui le touchait au plus profond de son être et qui venait faire valser son âme. Une danse telle qu'il n'en n'avait jamais connue. Une danse magnifique effectuée sous les yeux et dans les bras d'un Adrien plus merveilleux que jamais.

Les minutes puis les heures avaient défilé à une allure folle. Krista, gonflée de fatigue, avait fini par s'endormir, bien vite rejointe par sa mère qui la coucha dans le lit pour s'allonger à ses côtés. Edouard avait fait taire l'instrument. Sous les lumières tamisées des cierges blancs, l'ambiance s'était soudainement muée en quelque chose de plus tranquille. Plus doux. Plus confortable.

Ils étaient restés un long moment, tous les deux, assis l'un en face de l'autre autour de la table. L'éclat des flammes venaient scintiller dans les pupilles claires du noiraud, réchauffant quelque peu son regard de glace. Sa peau s'était teintée d'une agréable couleur orangée. Ainsi positionnés, les yeux plongés dans ceux de l'autre et les corps séparés par une planche de bois austère, les deux garçons avaient discuté. Ils s'étaient parlés. Enfin rectifions, Adrien avait narré des anecdotes au bouclé. Il lui avait raconté comment il s'était incrusté à maintes reprises chez Randalf pour lui voler des ouvrages avant que ce dernier n'accepte de lui apprendre à lire, comment Krista se rendait chaque jour dans les quartiers riches de Troya après le marché pour dessiner dans un carnet les robes des belles dames qu'elle rencontrait. Il lui avoua encore que chaque matin il aimait à se lever tôt, bien avant que le soleil se lève, pour aller se perdre dans la forêt, respirer les odeurs humides des bois, ceuillir quelques plantes, puis grimper à la cime d'un arbre afin de voir le royaume se réveiller doucement.

Les yeux grands ouverts, Edouard l'avait écouté en silence. Il osait par moment émettre une remarque, rire doucement à une anecdote amusante, soulever quelques points du récit. Mais la plupart du temps il restait silencieux, ses yeux traduisant pour lui ce que ses lèvres n'osaient prononcer.

Pourtant Adrien avait essayé de le faire parler. La timidité et le malaise de ce grand garçon à l'allure si sérieuse l'intriguait. Cela l'attristait même. Mais à chacune de ses questions, à chacune de ses vaines tentatives de lui décrocher une parole, le jeune homme se tordait dans un mal-être palpable puis s'échappait à l'aide d'une pirouette maladroite. Alors il n'avait pas insisté. Le voir sourire, le voir ainsi détendu était déjà amplement suffisant.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant