Chapitre 45 : Condamné

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Il n'y avait pas de fenêtre. Non. Pas l'ombre d'une lucarne ni même le souffle étouffé d'un soupirail. Simplement des murs, gris, teintés de rouge par endroits. Des murs aux profils plus sombres et ténébreux que le tombeau des enfers. Il n'y avait pas de fenêtre non, mais pourtant il faisait froid. L'atmosphère était comme imbibée par l'haleine glaciale de la nuit. Une haleine à la fois mordante et terriblement humide. Les briques suaient à grosses gouttes. Un clapotis incessant qui alimentait le silence cinglant régnant dans l'espace. Un silence dans lequel retentissait la chute terrible d'un roi. Les cachots cruels d'un palais pour ultime demeure.

Assit à même le sol, les jambes repliées contre son torse comme pour le protéger de cet univers macabre, Édouard avait depuis longtemps abandonné la contemplation de ces lieux. Contempler, observer, regarder. Être le témoin passif d'une existence inutile ne lui convenait plus. Il aura fallu la rudesse des soldats et la violence d'un coup d'état pour qu'il en prenne définitivement conscience. La brutalité de la vie pour éveiller une flamme. Il explosait. Prisonnier de ce corps épuisé, son cœur criait au désespoir. Il en pleurait des larmes de sang, tambourinant contre sa cage de chair afin de laisser éclater une colère vaine. Son cœur s'égosillait mais son corps ne suivait plus. Avachi contre ce mur, tête basse, le souffle de son âme l'avait abandonné.

Depuis combien de temps se trouvait-il ici, coincé entre ces quatre murs, les fesses dans la poussière ? Combien de minutes, d'heures, de vies s'était-il écoulées tandis qu'il attendait un miracle qui ne viendrait jamais ? Il ne savait pas, il n'avait jamais su. Son père avait eu beau protester, le jeune homme avait bien essayé de crier, mais il était trop tard. Beaucoup trop tard. Leur chance était passée. Le monde avait continué à avancer, mais le roi et son fils s'était arrêtés, relégués à l'index des archives. Un chapitre passé. Un temps définitivement achevé. Ils n'étaient plus que des ombres, de vagues souvenirs abandonnés dans les couloirs poussiéreux de l'histoire.

La boue grasse et odorante qui imprégnait le sol venait sournoisement souiller le pan de ses vêtements. La trace indélébile d'un déclin inflexible. Jeadan s'en serait mordu les doigts. Mais cela importait peu. Son apparence, les états d'âme du couturier, même le sort de ce royaume, tout cela ne comptait guère. Non. Ce qui accaparait tout à fait les tourments du prince était une chose tout autre. Deux yeux bleus, un sourire merveilleux et une étincelle de bonheur singulière. Adrien. Le sort du garçon l'inquiétait, bien plus que n'importe qu'elle autre noble préoccupation. Il avait réclamé des réponses, quémandant avec un désespoir enragé la présence du duc. Une phrase, un mot. N'importe quoi. Mais rien. Rien du tout. Aucune de ses demandes ne s'était vue satisfaite. Harry n'avait pas pointé le bout de son ignoble nez. Et Adrien restait obscurément silencieux.

Un garde toussa. Raclement de gorge discret. Échos bruyant. À moins que cela ne soit le silence effrayant de l'espace. Édouard releva la tête. L'homme en armure se tenait discrètement à l'angle du mur. De l'intérieur du cachot, on ne distinguait que l'ombre mystérieuse de son profil. Être anonyme et lâche. Malgré les protestations de ses deux locataires, le misérable traitre n'avait pas daigné remuer le pouce. À peine pouvait-on distinguer le mouvement docile de sa respiration. Statue de misère, sac de chair perverti. Marionnettes entre les mains de forces qui les dépassaient. Le jeune prince soupira. Qui était-il pour juger un tel homme ? Ne s'était-il pas comporté de la sorte durant les pitoyables années qui avaient ponctué sa vie ?

Désabusé, parfaitement découragé par le spectacle macabre de cette cellule, Édouard détourna la tête. Le froid de la pièce venait s'infiltrer dans les plis de ses vêtement, baignant d'une humidité glaciale la peau tendre de sa nuque. Il frissonna. Face à lui, assit sur le siège de velours rouge qu'on avait bien consenti lui céder, Hugues d'Aurhobeau n'en menait pas large. Sa silhouette trapue ployait misérablement sur son trône de fortune. Il gardait la tête baissée, les mains jointes sur ses genoux et les yeux mi-clos. Son écorce flétrie s'était teinte d'une affreuse couleur pâle. Ainsi prostré, on aurait pu croire à un cadavre. Seuls le mouvement imperceptible de ses épaules et le sifflement grinçant de son nez trahissaient la vie qui imprégnait encore sa carcasse. Le roi de Troye n'était plus qu'une pâle ombre de l'illustre personnage qu'il avait été.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant