Chapitre 41 : Mutinerie

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Le trot régulier des chevaux berçait doucement l'esprit agité du prince. Les rayons du soleil déclinant caressaient sa peau. L'air se faisait plus frais, plus parfumé également. Dans le ciel, deux faucons se faisaient la cour. Mais tout cela n'effleurait pas même la conscience du pauvre noble. Non. Chaque parcelle de son corps était trop bien trop occupée par des pensées confuses pour seulement daigner considérer les éléments qui l'entouraient. Il n'y avait que ce soupir, ce touché grisant, ce frisson palpitant. Il y avait ce goût, qui flottait toujours sur ses lèvres, ainsi que ce regard, ce sourire délicieux. Il y avait tout et rien à la fois. Adrien. Adrien qui s'était éclipsé si vite. Adrien qui avait continué comme si de rien n'était. À l'évocation même de ce nom, le cœur du jeune homme tressauta dans sa poitrine. Son âme se pressa. Amas léger et lourd de papillons qui gonflait dans son ventre. Bon sang. Que lui arrivait-il ?

Éléonore le suivait en silence, quelques mètres en arrière. Ses cheveux flottaient légèrement sur ses épaules, jouant avec le souffle du vent. Lèvres closes, regard voltigeant de bosquet en bosquet, la jeune femme semblait s'abstenir de toute remarque. Par instant, ses pupilles noisettes venaient se perdre sur le dos de son promis, avant d'osciller de plus belle vers un horizon inatteignable. Le silence de la nature bercé par le chant des oiseaux, régnait en maitre entre le couple princier.

Voilà une vingtaine de minutes à présent que les deux fiancés avaient quitté la chaumière de la petite famille. Le temps de finir les biscuits et de s'échanger quelques amabilités bien placées. Si Éléonore avait fait preuve des plus extrêmes des gentillesses et des courtoisies, Édouard de son côté n'avait pas été capable d'aligner plus de trois mots. Son cœur et son corps ne pouvant s'empêcher de zieuter avec perplexité et désespoir vers la figure radieuse d'un certain noiraud. Adios. Muchas gracias. Et ce fut tout. Pas un mot de plus. Pas d'explications. Juste ce goût sucré sur ses lèvres. Et ce parfum envoutant qui lui faisait tourner la tête. Diable. Qu'il avait chaud. Serait-il malade ?

Les tours blanches du palais royales avaient émergé derrière l'épaisse forêt. La route se faisait plus large, pavée de pierres et de bois. Tuiles, briques, mur. Le château tout entier se dessinait à présent. Terrible, gigantesque. Perle rare et fierté du royaume de Troye. Les chevaux ralentirent la cadence. Le cœur du prince s'était pressé. Ils étaient de retour. Et cela ne lui présageait rien de bon.

La porte était grande ouverte. Des bruits d'hommes et de fers retentissaient jusqu'à l'extérieur de l'enceinte de pierre. Tumulte anormal. Effervescence inquiétante. Édouard fronça les sourcils, oubliant un instant le désarroi de son esprit. Mais que ce passait-il là-bas ?

Les sabots des deux destriers claquèrent sur les dalles du palais. Pas la peine de réclamer l'ouverture des portes, ni d'annoncer leur retour. Personne ne sembler y prêter la moindre attention. Le garde hagard et benêt de l'aller avait abandonné son poste, tout occupé à présent à soutenir un camarade avachit contre un mur un peu plus loin. Au milieu de la cour, une vingtaine d'hommes en armure, agenouillés sur le sol, les membres parfaitement entravés par des fers, essuyaient les coups de leur compagnons d'armes. Des soldats en uniformes, partout, envahissait la place. Uniforme de Troye, uniforme bleu et rouge rehaussé d'une côte de maille grisonnante. Partout. Les domestiques s'agroupaient aux fenêtres, le long des parterres, contre les murs. Un brouhaha gonflant et redondant saturait l'espace. Des hommes, trop d'hommes. Des bruits, bien trop de bruit. Un du sang. Sur une main, un bras, la dalle souillée d'un mur. Bon sang. Mais que s'était-il passé ici ?

Manœuvrant leurs montures parmi cette foule informe et grouillante, le couple princier se fraya un chemin jusqu'à l'extrémité de la place. Les badauds s'écartaient, sans paraitre remarquer leur présence. Par instant, un regard croisait celui du prince, avant de s'échapper, chuchotant quelque paroles discrètes à l'oreille d'un complice. Mais Édouard ne s'en formalisa pas. Yeux tout ouverts, bouche fermée mais esprit perdu, il contemplait la scène en cherchant à y dégager une quelconque once de sens. Le palais aurait-il été attaqué en leur absence ? L'armée du royaume de Remany serait parvenue à déjouer l'attention du roi ? Non, cela n'avait aucun sens. Même perdu dans la chaumière d'Adrien, il aurait entendu le bruit des combats. Remany n'aurait pas épargné les villageois. Une armée en mouvement faisait un minimum de bruits et de dégâts.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant