Chapitre 54 : Mademoiselle Catastrophe

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Le poing s'écrasa brutalement contre la porte. Un coup. Deux coups. Trois coups. Tambourinement agacé. Presque nerveux. La tension agitait le muscle. La colère également. Un soupçon de peur, d'incompréhension. Et un intense et puissant sentiment de trahison. Comme un glaive que l'on aurait enfoncé dans un cœur encore trop tendre. Une déchirure venue briser le courant d'une vie tranquille et douce. Révélation terrible qui saccageait, par sa simple existence, un empire de simplicité et de bonheur laborieusement bâtit. Le poing continuait à s'exciter contre la paroi. On ne comptait plus les coups.

Le bruit d'une clé que l'on tourne se fit entendre. Le poing cessa sa course saccadée. Les gonds grincèrent sinistrement puis la porte s'entrouvrit. Légèrement. Le visage d'une femme apparu dans l'entrebâillement timide de la cloison. Une femme à la peau foncée, au regard sombre et à la chevelure aux couleurs de la nuit. Une femme aux traits tirés, aux rides creusées et aux lèvres pincées par l'angoisse. Une femme qui semblait courber sous le poids du temps. Maria. À la vue des deux visiteurs, elle ouvrit de grands yeux horrifiés, arrondissant sa bouche d'angoisse. Sans perdre une seconde supplémentaire, elle les encouragea aussitôt à se glisser à l'intérieur de la misérable mansarde.

- Mais vous êtes fous de venir tous les deux ici ! s'exclama-t-elle en refermant brutalement la porte derrière eux. Complètement inconscients même !

Inconscients. Fous. Édouard échangea un regard en direction de son adoré compagnon. Ce dernier, visage fermé, rongé par des pensées inconnues, ne lui renvoya pas son regard. Non. Son attention semblait toute tournée vers cette femme qui les incendiait de reproches inquiets. Les perles bleues du jeune homme n'avaient jamais semblé aussi sombres et profondes. Ce n'était pas de l'amour, ni de la tendresse que l'on pouvait y lire cette fois-ci. C'était un tourment puissant. Une vague venue balayer ses idées et certitudes pour y instaurer un océan de mystères. Un désert froid et triste qu'il ne parvenait à comprendre. Le cœur du pauvre fugitif se pressa de douleur. Les perturbations du noiraud lui faisaient du mal autant que de la peine. Il n'aimait pas le voir ainsi. Si incertain. Si perdu.

- Ed ? C'est bien toi ?

Une voix enfantine vint le tirer de ses pensées. Le-dit Ed fit pivoter son corps. Debout derrière lui, les mains pressées sur le tissu usé de sa robe, Krista le fixait en fronçant les sourcils, une moue curieuse étalée sur sa figure. Perplexe. Elle s'approcha d'un pas timide, avant de finalement éclater d'un rire moqueur et délicieux. Ses cheveux blonds s'agitèrent autour de son visage de poupée.

- C'est quoi cette blague ? Il y avait une compétition pour le titre du type le plus ridicule du royaume ? s'esclaffa-t-elle en faisant retomber son petit corps gras sur une chaise non loin de son interlocuteur. Non mais t'as vu ta tronche ? On dirait un de ces gars lubriques qu'on voit sortir des maisons au rideaux roses du centre-ville.. ! Une vraie tête de cochon !

La fillette se laissa emporter par un nouvel élan d'hilarité. Retirant ses lunettes pathétiques, l'homme cochon passa une main sur son visage, plaquant ses longues mèches bien trop lisses sur son crâne. La blondinette ne pensait pas si bien dire. Il avait littéralement l'attirail d'un porc, juste là, sur le minuscule espace parcellement velu que représentait son menton. Secouant la tête, il arracha les derniers poils. L'heure n'était pas à la plaisanterie bon sang. Pinçant ses lèvres, il porta de nouveau son attention sur le noiraud. Ce dernier fixait toujours sa mère en silence. Cette dernière, percevant sans doute la méfiance de son fils, s'approcha lentement de lui. Front soucieux.

- Que se passe-t-il ? osa-t-elle demander de sa voix cruellement innocente. Quelque chose est arrivé ?

Le corps d'Adrien se tendit légèrement. Contraction infime mais tout autant terrible qu'Édouard constata sans parvenir à en déceler le sens. Krista avait cessé de rire. Le calme et le sérieux de son frère la pétrifiait. L'air était lourd. La tension était atrocement palpable. Le noiraud ferma le poing.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant