Chapitre 44 : Effondrement

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Harry. Là. Au milieu de la cour. Droit et pimpant devant le carrosse d'Albinos. Harry le traitre, l'homme le plus recherché de la couronne, si fier, si fringuant. Harry, ce cousin méprisable, cet être égoïste et lâche, monstre véreux. Il était là oui, souriant de toutes ses immondes dents aux côtés de la reine. L'assemblée fut parcouru d'un froid. Un silence stupéfait. Un atterrement de mort. Éléonore lâcha la main du prince.

Mais l'instant de flottement ne dura pas, non. Car déjà le roi reprenait des couleurs. Rouge, pire qu'un rubis en fusion. De livide et fatigué il était redevenu ce diable excité qu'il incarnait si bien. Son bras se leva, sa voix retentit crûment dans l'hémicycle. Un cri du cœur tout aussi faible que désemparé.

-    Mais que faites-vous ?! s'insurgea-t-il à l'encontre de sa garde. Arrêtez-moi cet homme ! Immédiatement !

Il n'en fallut pas d'avantage pour ramener dans le palais un souffle de vie angoissé. Édouard reprit contact avec le sol. Ses yeux abandonnèrent leur brusque état de stupéfaction pour se concentrer sur cette scène. Sur le cours de sa vie qui ne semblait pas avoir cherché à l'attendre. Un bruit d'armure. Une poignée de soldats qui s'avancèrent dans une hâte toute retrouvée. Certains domestiques se réfugièrent à l'intérieur des murs. Éléonore se ressaisit. Mais Harry n'avait pas perdu son sourire. Il ne bougeait pas. Pourquoi diable ne bougeait-il pas ?

Tintement de casseroles. Souffle d'âme, gonflement animal. Les hommes s'approchèrent du duc. Ils s'approchèrent mais il ne le touchèrent pas. Non, pas un geste, pas même un soupçon d'animosité. Tout le contraire en réalité, car ils se retournèrent comme un même corps, dos au traitre, face au roi. Ce dernier ouvrit de grands yeux. Son ombre vacilla. Il commençait à comprendre. Mais trop tard, beaucoup trop tard. Deux hommes vinrent le saisir par les épaules. Trois autres immobilisèrent le prince. Un fraction de secondes. Cri de douleur. Le souverain s'égosillait, se débattant comme un diable. Édouard lui ne bougeait plus, cloué au sol, son regard ne parvenant à se détacher de la figure irradiante d'arrogance de son cousin. Lui aussi commençait à comprendre. Une nouvelle défaite, nouvelle tromperie. Le duc était passé maitre en la matière. Il avait joué dans la cour des grands, et il avait gagné.

-    Mais qu'est-ce que c'est que cette mascarade ?! vociféra le roi en abandonnant toute tentative avérée vaine de résistance. Sullivan, explique-moi cette plaisanterie !!

Le dénommé Sullivan ne daigna pas même se tourner vers son souverain. Aux côtés du duc, il se contenta de lui murmurer quelques mots à l'oreille, mots que l'ignoble traitre accueillis avec un sourire des plus ravis. Éléonore, laissée pantoise sur les marches de l'escalier, observait tout cela avec un affaissement contraint. De surprise, son visage s'était brusquement teinté de lassitude. Un détachement certain qui détonnait curieusement de ses émois habituels. Mais cela, personne ne sembla le noter. Pas même le prince toujours paralysé, encore moins Harry, qui s'avança avec son arrogance superbe.

-    Cette mascarade mon oncle n'est que le fruit ô combien cuisant de votre incompétence, articula-t-il avec une assurance affolante.

Le roi voulu répliquer mais le duc lui intima de se taire. Une intimation muette, traduite par un large mouvement de bras en direction de l'assemblée de soldats, silencieuse et immobile.

-    Voyez-vous-même, poursuivit-il sur un ton plus tranchant, ces hommes en ont assez d'obéir aux ordres d'un roi sénile et d'aller mourir pour des causes qui ne sont pas les leurs. Cette guerre n'a que trop durée, tout comme votre obstination malsaine et maladive. Votre temps est achevé mon oncle. Regardez, sur tous les fronts votre armée ploie ! Même en vos murs elle vous abandonne !

-    La faute à qui, traitre ! s'époumona le souverain déchu. 

Le vieil homme se tortilla avec peine entre l'étreinte ferme et imperturbable des soldats. Des soldats qu'Édouard n'avait pas le souvenir d'avoir déjà vu. Il plissa les yeux. Le spectacle misérable de ce père sans cœur le désolait.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant