« Donc vous êtes devenus complètement suicidaires ? »
Debout au milieu de la cuisine, un torchon poisseux noué autour de sa taille, Célestin fixait ses deux visiteurs d'un air abasourdi. Dans ses lourdes mains se trouvait un saladier empli d'une épaisse pâte blanche aux reflets luisant d'huile et de graisse. Témoin odorant et appétissant d'un repas qui ne saurait tarder. Mais à cet instant précis, ce n'était ni le copieux pâté et moins encore son fumet alléchant qui retenait l'attention du fermier. Non. C'était les visages tout aussi satisfaits que déconfits que ses compagnons affichaient devant lui.
Sitôt terminées leurs studieuses recherches aux milieu des étagères poussiéreuses de Randalf, Édouard et Adrien s'étaient empressés de retourner se cloîtrer au sein de leur précieux repère. Dans les rues de la ville, la colère des habitants commençaient dangereusement à gronder. Déjà, on ne parlait plus du prince en fuite ou de l'attrayante récompense que promettait sa capture. De tout autres problèmes agitaient les cœurs et faisaient gronder les âmes. On parlait misère, on parlait injustices, on parlait famines et précipices. Si Harry avait ramené une paix factice aux frontières, il avait également réveillé de nouveaux démons. Ceux que l'on avait enfouis pour supporter la douleur de la guerre. Mais sans conflit pour faire taire les indignations, ces dernières explosaient en grand bruit. Et quoi de mieux pour cela qu'un inespéré et violent coup d'état ? Harry s'était certes attiré les faveurs de l'armée, mais il avait également attisé la haine des seigneurs de la cour de même que le ras-le-bol d'un peuple qui se meurt.
Capuche rabattue sur le nez, visage enduit de cendres et boucles ébouriffés sur son crâne, le chemin jusqu'à la ferme n'avait pas été chose aisée. Adrien avait dû redoubler de prudence et d'inventivité pour guider son prince loin de ses ennemis, à l'abris des regards indiscrets et des attraits de la misère. Pourtant, il apparaissait que déjà on le cherchait ailleurs. Loin. Caché quelque part, à l'intérieur des terres, ou aspiré par les libertés sauvages de l'océan. Son existence ne semblait n'être plus qu'une pâle menace pour le régime du terrible cousin.
Le père Célestin ainsi que les deux frères ainés étaient aux champs, suant corps et âme, comme chaque jour que leur confiait le ciel, pour satisfaire une terre fertile et capricieuse, mère avare d'un maigre pain. Au retour des deux compagnons, Célestin se trouvait dans la cour de la ferme, front plissé manches relevées, scrupuleusement occupé à ranger les poules dans leur dortoir de fortune afin de pouvoir ensuite se vouer entièrement à la confection d'un copieux diner. Sa jeunesse tout comme sa maladresse le consignait aux tâches ménagères. Un travail qui pourrait paraître ingrat mais dont le jeune homme se contentait. Non sans râler copieusement, bien évidement. Sitôt rentrés dans la demeure de pierre, ses deux visiteurs lui avaient fait part de leurs découvertes.
- Il faut toujours que tu sois d'un terrible pessimisme toi aussi, râla Adrien en secouant la tête d'un air agacé.
- Mais vous voulez vous infiltrer dans le palais !
Lâchant un lourd soupir, Adrien leva les yeux au ciel, faisant battre ses jambes dans le vide. Debout près de la fenêtre, ses bras croisés sur son torse et ses doigts triturant la toile de sa tunique, Édouard observait la scène en se mordillant les lèvres. Lui-même ne portait pas de grands espoirs dans ses projets calamiteux, et l'incertitude marquée du barbu ne le rassurait guère. Ce dernier lança un regard exaspéré en direction du noiraud assit sur la table avant d'enfourner sans ménagement sa mixture dans le four de pierre. Il attisa les flammes fatiguées de foyer avant de se tourner de nouveau vers ses visiteurs. La chaleur de la pièce ainsi que l'irritation que provoquait en lui cette conversation teintaient ses joues d'une intense couleur rouge. Il posa ses lourdes mains sur ses hanches.
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Un prince presque charmant
RomanceÉdouard est le prince du royaume de Troye. Un prince tout ce qu'il y a de plus banal. Beau, riche, pourri gâté... bref, banal. Enfin, a quelques détails près... car son père le déteste et son royaume court à sa perte. Mais tout va bien. Oui tout va...