Épilogue

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L'archet glissait sur les cordes du violon. Son crin venait faire danser les notes dans le tambour de l'instrument. Un ventre vibrant de larmes et de pluie. Elles couraient le long du manche, ces mêmes notes, s'enroulant dans la courbe des ouïes pour aller chatouiller la valse gracieuse des volutes. La musique s'élevait dans les airs, ample et profonde. C'étaient des perles teintées de croches, des langues entrelacées de blanches, une caresse de triolets qui embrassait l'espace offert puis s'envolait par-delà l'immensité d'une fenêtre ouverte. Son murmure délicieux allait chatouiller le bleu de cieux, comme pour provoquer de sa splendeur l'infinité de l'univers. Les doigts de l'homme dansaient sur les touches sombres. Une succession de pas et de sauts, desquels s'échappaient des murmures et chuchotements enchantés.

Le visage plaqué contre la mentonnière d'ébène noire, les paupières closes et les lèvres fermées, le corps du musicien était habité par une ronde envoutante. L'harmonie délicate semblait toute droit sortie de son être, forgée dans le secret de son âme, assemblage magnifique des morceaux de vie et de peine. C'étaient ses muscles, sa chair, son sang, le tumulte entier de ses émotions qui se tissaient à travers ces gammes et ces arpèges. Un souffle fait d'amour et de haine, d'humanité et de mort. C'était lui et tant d'autres encore. Une merveille bouleversante venue panser les plaies des âmes égarées. Témoignage d'une vie. L'homme tira un dernier coup sur son archet. Ultime ronde. Croche finale. La musique résonna un temps dans les airs, puis ce fut tout.

Assis à même le sol, la toile de leurs vêtements embourbée de terre et de poussière, les enfants laissèrent s'écouler une poignée de secondes avant de faire exploser leur joie. Dans un fracas de voix innocentes, ils firent claquer leurs paumes entre elles, s'extasiant des talents de l'interprète, s'émerveillant de la beauté de ce chant, attribuant toujours plus de charmes à ces doigts divins qui venaient de jouer. L'homme se mit à rire. Secouant la tête, il rabroua gentiment son jeune public puis, le visage toujours apaisé d'un sourire, déposa le précieux instrument sur son bureau de bois. Les enfants en demandaient plus. Ils voulaient entendre, apprendre à leur tour. Ils voulaient être capables des même prodiges que ce professeur aux multiples talents. Mais l'heure n'était plus à la musique. Pivotant sur son siège, l'homme saisit une canne jusqu'alors appuyée contre le mur qui lui faisait office de dossier, puis se leva. Plissement de lèvres, contraction du visage. La douleur cingla dans ses muscles puis disparue. Comme un soupir. Un vague songe. Il fit quelques pas. Cette vieille compagne était devenue sienne depuis tout ce temps. Dans un tintamarre charmant de piaffements et cris, les enfant se levèrent à leur tour pour trottiner jusqu'à un banc de bois accolé à la cloison. Le maitre descendit de son estrade. La leçon d'histoire pouvait débuter.

-       Ma maman m'a dit que le roi il allait venir chez nous pour construire un port. C'est bien vrai ça, professeur ?

Un jeune garçon aux boucles brunes venait de lever le doigt. Sa main pressait une ardoise noire contre ses genoux nus et crouteux. Assise à côté de lui, une fillette au visage encadré par de longues tresses blondes secoua la tête, aguichant son camarade d'un air dédaigneux.

-       N'importe quoi, protesta-t-elle en haussant les épaules. Il va pas construire un port, y'en a déjà un !

-       Mais c'est ma maman qui l'a dit !

-       Ben elle est quiche ta maman.

-       T'as pas le droit de parler comme ça de ma maman !

La fillette tira la langue. L'ardoise encore vierge de craie se leva dans les airs, menaçant de s'abattre sur le minois charmant mais effronté de l'innocente blondinette. Dans un rire, le maître s'interposa entre ses deux turbulents élèves. Il secoua la tête, abaissant l'arme d'écolier vers le sol. Sa figure souillé par une légère barbe brune affichait un sourire amusé. S'aidant de sa canne, il s'accroupi au niveau des enfants. Onze paires d'yeux le fixaient avec intérêt.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant