Le Sceau (tome 1 et 2)

Chapitre 6 [CORRIGÉ]

Lorsque le docteur Johnson sonna, ce fut Amy qui lui ouvrit, un large sourire aux lèvres. Son attitude ressemblait plus à celle de quelqu'un qui accueillait un ami, plutôt qu'un professionnel de la santé. Il était assez grand, des traits asiatiques, des cheveux noirs, longs sur le dessus, tirés en petite couette pliée en deux, et un visage très sympathique. Il ne paraissait même pas avoir la trentaine et respirait la joie de vivre. Rien qu'à le regarder, la bonne humeur venait toute seule.

L'air décontracté, il portait des vêtements à la mode, mais pas tape-à-l'œil et une blouse de médecin ouverte. Il salua la portière d'un clin d'œil et d'un sourire Colgate tandis que sa patiente arrivait quasiment à reculons derrière elle. C'était bête, mais elle se découvrait une nouvelle phobie, les médecins. Elle tortillait fébrilement ses cheveux, tic nerveux qui ressurgissait quand une situation l'angoissait. Par exemple au lycée, elle détestait prendre la parole devant tout le monde en classe, alors pour cacher son stress elle triturait quelques mèches. Les pauvres... Elle ne supportait pas l'impression de retourner à cette époque, mais elle craignait que le docteur s'aperçoive qu'elle cicatrisait presque instantanément d'une quelconque manière. Et elle avait peur qu'il ne trouve rien de problématique.

Elle regretta presque de ne pas avoir appelé sa mère, plutôt, mais elle ne voulait pas l'inquiéter... elle avait déjà assez de soucis à gérer avec les études d'Amélie. Sa sœur avait le défaut de toutes les personnes trop intelligentes : l'ennui insoutenable en cours. Elle commençait des études et arrêtait au milieu parce qu'elle avait pigé le truc et que c'était devenu insipide à en mourir trop rapidement. Son cerveau carburait à une allure incroyable, et dès qu'elle se penchait sur quelque chose, elle le finissait aussitôt. Enfin, il y avait un deuxième inconvénient particulier à cette catégorie d'êtres pensants : ne pas comprendre que les autres ne fonctionnaient pas aussi vite qu'eux dans leur tête. Ils avaient tendance à gérer leur vie à leur manière, et ils s'attendaient à ce que tout le monde suive leur rythme.

Elle vivait une existence d'artiste parfois difficile à supporter pour la famille. Ces derniers temps, elle avait tout arrêté pour travailler dans la restauration, sans qualifications. Un ami proche des parents l'avait embauchée comme chef pâtissier dans un restaurant qu'il venait d'ouvrir, car elle excellait dans cette discipline. Mais ça faisait à peine un an et quelque chose n'allait déjà plus ! La situation était pénible à endurer et Amélie n'aidait pas beaucoup. Cela n'empêchait toutefois pas une grande complicité entre les deux sœurs... même si un peu de distance s'avérait bénéfique pour Tori.

Cette dernière sortit subitement de ses pensées réalisant que le médecin lui parlait depuis un moment et qu'elle ne l'écoutait pas... et comble du comble : il se tenait toujours sur le pas de la porte ! Elle lâcha un « et merde » retentissant, puis rougit, se rendant compte de ce qu'elle venait de faire. Heureusement que les deux autres ne comprenaient pas le français. Enfin, elle ne connaissait pas le nouvel arrivant... et voilà qu'elle dérivait encore. Il allait falloir qu'elle apprenne à rester concentrée, sinon ça lui jouerait des tours.

Elle se secoua rapidement et se présenta en invitant l'homme à prendre place sur le canapé. Amy, ne voulant pas être de trop, déclara qu'elle allait prendre l'air et demanda à son amie de la prévenir lorsque la consultation serait finie. Une petite moue moqueuse collée au visage, elle souhaita bonne chance à Astoria qui perdait toute contenance au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient. Elle s'installa à l'autre extrémité du sofa, légèrement mal à l'aise, ne sachant pas quoi faire. Ce fut Kim qui, sentant son désarroi, engagea la conversation :

— Faut pas stresser, ne vous inquiétez pas ! Je suis médecin et j'ai eu une formation de psychologie. Je vais vous poser quelques questions, faire une auscultation rapide et après on verra, ça vous va ?