Le Sceau (tome 1 et 2)

Chapitre 43

Le repas était gargantuesque bien qu'il fût près de quatre heures de l'après-midi. La table semblait crouler sous les plats bien garnis. Il n'y avait que les hauts placés de la meute qui y participaient, servis par des jeunes. Tori se demandait ce qu'elle faisait parmi tous ces gens, tous plus redoutables guerriers les uns que les autres. Comme Zion, ils abordaient des cicatrices sur le visage, le cou ou les mains. L'un d'eux en avait une qui lui passait sur les lèvres, tordant très légèrement sa bouche. Ça lui donnait un charme particulier.

Il y avait seulement deux autres femmes dans le groupe, elles n'échappaient pas à la règle non plus. Malgré cela, elles restaient très belles, donnant à la jeune femme l'impression de ne pas être à sa place. Elle était en quelque sorte une intruse de par ses imperfections. De plus elle n'était pas une combattante hors pair et n'avait pas beaucoup d'expérience alors qu'émanait de tous les convives une aura de guerriers aguerris.

D'habitude elle n'y prêtait pas attention, mais cette fois-ci c'était différent. Les occupants de la pièce, réunis autour d'une immense table de réception, lui jetaient des regards à la dérobée avec des lueurs de curiosité dans leurs pupilles. À part un qui avait l'air un peu hostile, personne ne faisait rien de déplacé, mais ça restait inconfortable pour elle.

Elle picorait dans tous les plats, son ventre ne voulant pas la laisser en paix. Il la menaçait de grogner le cas échéant. Elle se faisait la plus invisible possible, ce qui déplaisait à son aor yfir, elle sentait son irritation. Elle n'y pouvait rien, elle ne sentait pas à l'aise et personne ne tentait réellement de lui faire la conversation. Elle avait essayé de parler avec l'une des femmes qui avait à peine répondu. Pourtant à un moment l'aor yfir de l'est, qui venait de finir sa discussion avec Zion, lui adressa la parole.

— Alors comme ça tu es sa nouvelle ? Déjà au taquet pour mission !? Je ne savais pas les français aussi dévoués.

Il disait ça sur un ton enjoué et admiratif, absolument pas offensant. Bizarrement toute l'attention de la salle se reporta sur elle.

Reece jubilait, l'intérêt que lui prêtait l'homme donnait en quelque sorte une leçon à ces dames dédaigneuses. Par contre, elle ne savait pas exactement comment répondre, après une demie seconde de réflexion, elle opta pour son naturel habituel.

— Il faut croire que les Français ne sont pas si froids que ça !

Elle faisait allusion au fait que les Américains idéalisaient la France, mais que pour eux, ses habitants n'étaient pas très ouverts et accueillants. En même temps, les Américains étaient tellement ouverts qu'à côté les Français étaient des individualistes autistes.

Sa petite pique fit beaucoup rire le barbu, les autres convives firent de leur mieux pour essayer de rire, mais ce n'était pas très convaincant. Ils avaient l'air un peu offusqués, si on ne comptait pas le lion et la deuxième dame à table. Cette dernière avait perdu son dédain, qui ne devait être qu'une façade, et souriait à pleine dents. Elle était littéralement transformée, elle paraissait plus jeune d'une décennie et plus agréable. L'aor yfir s'essuya les yeux, ourlés de longs cils noirs puis lissa sa barbe d'une main.

— J'aime bien ton répondant petite ! Ma fille, prends-en de la graine ! Fit-il en se tournant vers la jeune femme qui avait changé d'apparence de par son sourire.

D'ailleurs à la vue de cette joie, le père parut surpris, mais cacha sa réaction très vite, si bien que peu de gens le remarqua. Cependant ça n'échappa pas à Tori, qui ne comprit pas ce qui se passait. Toujours était-il qu'il l'avait appelée petite, cette appellation affectueuse lui réchauffa le cœur. Elle se rappelait qu'une vieille voisine l'appelait comme ça quand elle était petite. Elles n'avaient habité à côté que trois ans, mais elle s'était beaucoup attachée à cette femme qui lui avait appris beaucoup de choses plus intéressantes les unes que les autres. Elle avait été une sorte de grand-mère pour elle.