Le Sceau (tome 1 et 2)

Chapitre 1 [CORRIGÉ]

Été 2019.

La jeune femme étira paresseusement ses membres ankylosés par leur longue immobilité. D'un coup d'œil, elle jaugea la fenêtre, curieuse du temps qu'il pouvait bien faire dehors après son profond sommeil. Mais le store fermé était trop opaque pour lui permettre d'apprendre quoi que ce soit, alors elle le souleva précautionneusement. La luminosité l'éblouit toute de même, sans aucune considération pour ses pupilles. Elle fut obligée de cligner des yeux plusieurs fois pour chasser les tâches multicolores qui y dansaient, la rendant plus ou moins aveugle quelques secondes.

Les nuages, qui semblaient se prélasser quelques mètres plus bas tels une immense mer calme, la faisaient rêver. Elle avait toujours aimé monter dans l'avion, c'était relaxant et ne plus voir la Terre la déconnectait en quelque sorte de la réalité. Il ne fallait pas non plus croire qu'elle avait tant de problèmes que ça, mais prendre de la distance avec sa vie était parfois agréable.

La chance avait souri à la passagère puisque les sièges voisins étaient inoccupés, elle pouvait profiter de la rangée de trois pour elle seule. Elle s'était donc mise à l'aise pour pouvoir dormir durant son long voyage. Adossée à la paroi de l'habitacle, elle avait étendu ses jambes sur les places libres et elle était bien contente d'avoir pensé à porter un jean, elle avait l'impression d'être au pôle nord... la neige en moins et les hublots en plus. Des courants d'air glacé lui donnaient parfois la chair de poule.

Elle alluma l'écran intégré au fauteuil qui lui faisait face, et constata avec un sourire qu'ils allaient atterrir dans une petite demi-heure à Akron. Elle, Française jusqu'au bout des ongles, avait décider de faire des études de criminologie aux États-Unis après sa licence de droit en France. Âgée de vingt et un ans, elle s'était donc envolée pour l'Ohio après avoir enfin convaincu sa mère. La tâche avait été ardue, celle-ci ayant des instincts protecteurs très prononcés sur certains points. Son père, quant à lui, ne s'y était jamais opposé. Il trouvait cela plutôt instructif, mais il n'avait pu se défaire de son air soucieux avant son départ, ce qu'elle avait mis sur le compte des inquiétudes paternelles.

Elle rigola intérieurement en pensant à ses sœurs. Elles lui manquaient déjà, pour elle, elles se rapprochaient plus de meilleures amies que des parents, Amélie avec ses cheveux flamboyants coupés au carré, et Jade, blonde comme les blés. La première, à vingt-quatre ans, était une vraie enfant de temps en temps. Elle était une pile électrique, légèrement asociale avec les inconnus, qui adorait bouger, s'amuser. La deuxième, la plus jeune des trois filles, était son exact opposé, très calme et réfléchie, elle parlait peu et il était difficile de lui arracher un sourire. C'était facile de discuter avec elles, l'une était une bavarde invétérée ce qui permettait de ne jamais s'ennuyer avec elle et l'autre savait écouter mieux que personne. Les deux avaient beau être diamétralement différentes, elles ne s'entendaient pas mal pour autant. Et quand le trio se retrouvait ensemble, les filles formaient un groupe soudé et infernal. Plus rien ne les arrêtait, elles pouvaient disparaître de la circulation pendant une journée entière, papotant de tout et de rien, à refaire le monde.

L'avion plongea au milieu des nuages, le faisant tressauter légèrement, au plus grand bonheur de la jeune femme qui trouvait cela amusant. C'était un peu comme les attractions dans les parcs du style de Disneyland. Elle ne put retenir un petit sourire moqueur et compatissant en voyant une dame de la rangée centrale qui semblait terrorisée, les mains crispées sur ses pauvres accoudoirs qui n'avaient rien demandé à personne.

En cette fin d'après-midi d'août, quand l'appareil fut enfin posé et qu'elle put tenir sur la terre ferme, la voyageuse se dégourdit les jambes avec délice. Son premier réflexe fut de rallumer son téléphone, mais ayant toujours son forfait français, elle préféra remettre le mode avion et attendre le wifi de son studio pour prévenir sa famille qu'elle avait bien atterri. Suivant son programme, elle erra dans l'aéroport, cherchant un stand de location de voitures, avant de se dire que héler un taxi serait plus intelligent finalement. Elle louerait un véhicule près de son logement, sinon elle allait devoir revenir la rendre et payer de nouveau un taxi au retour. Ce n'était pas le meilleur plan auquel elle avait pu aboutir jusqu'à présent.