5 ans et demi plus tôt - Ricker contre Renards

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« Makoo a l'âme colorée ». Ce furent les mots d'Ania. Habituellement, la colosse n'était pas douée pour les jolies phrases. Cette fois-ci pourtant, sa bouche pleine de gros mots dénicha les mots justes pour décrire cet artiste hors-pair.

Makoo, Ania et Léone. Voilà un trio qui fonctionnait comme sur des roulettes.

Ania était ronde. Disons, aussi ronde qu'on pouvait le devenir dans le Bas-Monde. D'une taille anormalement grande et dotée d'une large carrure, son soutien était fort apprécié par ses mousquetaires. Être épaulé par Ania dans une bagarre, c'était comme charger de simples fantassins à coup de cavalerie. Les frisettes courtes se dressant sauvagement au sommet de son crâne, lui attribuaient un faux air candide, conforté par les tâches de rousseurs tapissant son nez. Son attitude, trop souvent puérile, dénotait avec sa stature.

Néanmoins, valait mieux ne pas s'y tromper, Ania était une brute épaisse au caractère de feu.

Léone en fit d'ailleurs les frais à leur rencontre. Le moins qu'on puisse dire était que ces deux-là, étaient aussi butées l'une que l'autre. La rouquine prit Léone en grippe dès leur première entrevue et se mit en tête de soumettre cette gosse, de deux années sa cadette, qui osait soutenir son regard et moquer ses provocations. Malgré les coups et les humiliations, Ania n'y parvint pas. Jamais elle n'aperçut une fichue goutte d'eau salée perlée au coin de son œil hostile. La colosse tenta bien de s'acharner sur sa proie, mais plus elle fut agressive, plus la rage incontrôlable de Léone déferla en retour. En dépit de son gabarit fluet, la gamine aux iris noirs manifestait un talent inouï pour le combat.

De sa défaite contre Léone, il naquit chez Ania un profond respect. La brute n'était pas sans vouer une admiration secrète pour l'indomptable brune. Elle rangea donc son amour propre et revint vers celle qui lui tenait tête, plus humblement. Léone ne s'embarrassant jamais de rancœur inutile, elles étaient contre toute attente devenues amies. De vraies amies. Comme il en existait peu dans le Bas-Monde.

Ania lui présenta ensuite sa bande. Ils acceptèrent unanimement Léone, ainsi que Céleste sans cesse collée à ses baskets... Céleste.

Quant à Makoo, tout fut plus facile. Les personnes recueillant l'assentiment d'Ania, bon juge en nature humaine, étaient rares. Aussi, pour les affaires d'amitié, le garçon plaçait une entière confiance en sa partenaire. Plein de sagesse, il économisait aussi ses désaccords avec cette tête brûlée qu'il manœuvrait comme sa poche.

Léone apprit à connaître Makoo avec un soupçon de curiosité et d'admiration. L'agréable métis constituait un mystère à part entière. Une antithèse permanente. Ce talentueux touche-à-tout, se montrait aussi manuel que philosophe. Aussi bon lecteur que sportif. Aussi charismatique que timide. La douceur de son regard égalait en intensité, la froideur de sa violence. Perpétuellement équipé de ses coudières et genouillères de skateboard lui donnant des allures de gamin, il était incontestablement le plus mature d'entre tous. Le grand Rafiki de la troupe. Au fil des années, une synergie particulière naquit entre Léone et Makoo. Il existait entre eux un univers auquel nul autre n'avait accès, pas même Ania.

Leur première aventure à tous les trois resterait gravée dans les annales. Cet évènement, à lui tout seul, bâtit pour les années à venir une cohésion de groupe unique. Ce fut aussi là, que Makoo découvrit les aptitudes pour le vol et la bataille de la jolie brune. Il en était resté pantois et il fallait bien l'avouer, tout chose.

À l'époque, le garçon identifia la planque d'un groupe nettement plus âgé qu'eux se faisant appeler la « Bande à Ricker », Ricker étant le nom de l'hurluberlu aux cheveux longs leur servant de leader.

- Ces enfoirés ont fait passer un sale quart d'heure au P'tit Brice, expliqua Makoo en crachant son dégoût.

En effet, le P'tit Brice avait traversé une ruelle au mauvais endroit, au mauvais moment. Malheureusement, il n'avait rien eu à voler sur lui. Déçus d'avoir fait chou blanc, Ricker et ses acolytes avaient passé leur frustration sur le gosse. Le P'tit Brice, sept ans, était revenu dans un état déplorable se réfugier dans les pattes de Makoo, lequel avait patiemment recousu l'enfant. Pour l'annulaire gauche du petit, par contre, c'en était fini. Les os avaient été brisés en autant de morceaux que possible, de sorte que le gamin dut faire une croix sur l'usage de son doigt.

La Bande à Ricker avait cependant ignoré un élément clef : le P'tit Brice était l'un des protégés de Makoo. Or, le voisinage savait que ce garçon veillait au grain sur son Cercle. Déjà très jeunes, Mak' et Ania s'étaient bâti une sale réputation. Ils avaient tabassé à mort un adulte, une histoire sombre. Bref, les ragots allant à bon train, on se méfiait de ces deux ados comme de la peste. Ricker aurait certainement épargné le P'tit Brice, s'il avait su.

C'en était suivie une excursion vengeresse dans le fief de Ricker. La première d'une longue série qui permit à ce groupuscule d'adolescents de subvenir à leurs besoins.

Le lendemain de l'agression, Makoo, Ania et Léone se planquèrent à proximité de la cache de Ricker. La rue menant à cette baraque pourrie avait été volontairement obstruée par les gravas d'une bicoque voisine (il était de bon ton de dissimuler l'accès à sa résidence ici-bas). L'adresse avait malgré tout fuité et Mak' n'en n'avait pas perdu une miette.

Sur le toit de la maison mitoyenne, les mousquetaires attendirent leur heure.

- Le gros d'la bande vient d'partir. Il reste encore deux connards à l'intérieur. ¨Plus prudent d'attendre que ça s'vide complétement, suggéra Makoo.

Ces trois-là se savaient jeunes et leur musculature d'adolescent ne rivalisait pas encore avec celle des adultes. Mieux valait ruser avant de cambrioler. Pourtant Léone, du haut de ses douze ans, en eut ras-le-bol d'attendre. Ses doigts blancs saisirent un long tuyau de plomberie abandonné au sol puis elle se glissa à pas de velours, tel un chat en chasse, à proximité de l'entrée. Si dans le Bas-Monde les gens s'enfermaient systématiquement à double tour, la serrure ne résista pas au savoir-faire de cette gamine voleuse. Léone entra en trombe et bénéficiant de l'effet de surprise, frappa fort dans son élan les boîtes crâniennes avec la ferraille. Juste au bon endroit. Les impacts furent puissants. L'un des crânes émit un craquement sale et les deux types s'effondrèrent au sol. La farouche gamine jaugea les corps. Ils semblaient vivants.

Lorsque Makoo et Ania débarquèrent à sa suite, le garçon demeura incrédule. Une fois remis de la surprise, tandis que Léone retournait déjà les tiroirs pour remplir son sac, il échangea un air entendu avec Ania. À l'aide de son sourire carnassier, sans un mot, la rouquine signifia à son camarade d'enfance : « Tu vois, elle déchire ! ». Après ça, le métis saisit à qui il avait à faire et tombait en pâmoison devant le talent de Léone, à chaque fois qu'il la voyait à l'œuvre.

Leur méfait accompli, Makoo et Ania rédigèrent une note à l'attention de Ricker, afin que le type sache d'où venait le coup - une erreur dont ils paieraient le prix bien plus tard.

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant