Les semaines précédentes - La Résolution *

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Ainsi, l'explosive rousse fut soumise à l'épreuve de la patience. Durant de longues journées, Ania guetta son amie sur le toit. Elle n'eut pas besoin d'être discrète, Léone semblait ne pas la remarquer. Observer le frêle dos de sa camarade, totalement immobile, désarçonnait Ania. Comment pouvait-elle rester assise en tailleur des heures durant ? Elle n'avait pas mal aux jambes ? Qu'est ce qui l'occupait tant, pour qu'elle ne réagisse plus à rien ? Ania aurait donné jusqu'à sa réserve secrète de biscuits pour découvrir ce qui se tramait sous cette chevelure brune. À quoi pensait sa partenaire toute la sainte journée ? Lorsqu'elle devait s'éclipser, même brièvement, Ania avait des scrupules à suspendre sa surveillance, craignant que sa cible ne se volatilise. Car Léone était capable de tout ; c'était d'ailleurs pour cela qu'elle l'admirait tant.

D'un autre côté, à jouer son rôle de gardienne, Ania tourna vite en rond. Tel un lion en cage, elle avait déjà distribué une centaine de coup de pied au battant de la porte donnant sur la cage d'escalier, il n'en méritait pas tant. Si seulement elle parvenait à deviner ce qui se tramait dans ce cerveau tortueux...

- Mortecouille, ronchonna Ania une énième fois sans que sa camarade ne lui prête attention.

La colosse voulut faire quelque chose, elle avait besoin d'agir ! Brusquement, sa lourde carcasse s'assit à proximité de Léone, en tailleur également. Puis ses iris noisette scrutèrent l'horizon en compagnie des yeux sombres. Léone, si concentrée, resta de marbre face à son initiative. Avait-elle seulement remarqué sa présence ?

- On regarde quoi ? la questionna Ania.

Aucune réponse. La rouquine examina le paysage sans savoir quoi chercher. Ania plissa fort ses paupières, réduisant son regard à deux fentes. Elle espéra secrètement que cette marque extérieure de réflexion, l'aiderait à réfléchir correctement de l'intérieur. Chacun sa méthode.

Depuis le toit du Terrier, on bénéficiait d'une vue imprenable sur la vieille ville. Les immeubles ayant poussé comme des champignons à une époque lointaine, se chevauchaient les uns aux autres dans un entremêlât de béton, sur des kilomètres à la ronde. Dire que tout cela avait été habité il y a longtemps... Makoo racontait, qu'avant, les villes pétillaient de lumières, y compris la nuit. Ania supposa que ce devait être joli, mais somme toute bizarre... À quoi bon faire briller des immeubles toute la nuit ? Il n'était pas bon d'attirer l'attention. Seul le Lieutenant pouvait se permettre un tel excès. D'ailleurs, au loin, Ania distingua sans peine le chef-lieu du Warrigal. L'animation y battait toujours à plein régime, comme une fête permanente. Un peu en amont, à l'Ouest, serpentaient les Quartiers poubelles. Les résidents les moins sales y déversaient leurs déchets – la rouquine préférait balancer son pot de chambre directement depuis sa fenêtre. Si un chauve passait dans la rue au même moment, c'était banco. Au-dessus de ses frisettes rousses, la roche de la météorite formait une voute céleste. Les Renards étant nés bien après cet évènement historique, ce ciel rocheux leur semblait des plus naturels. Tout au Nord, l'aura des Quartiers lumière irradiait de son éclat unique. Ces Quartiers étaient certes dangereux... Mais rayonnants. Les hommes n'étaient pas si différents des papillons, assoiffés de lumière, ils étaient tous tenté de se laisser attraper dans leurs filets.

- Tu crois qu'Léone a contaminé Ania ? demanda Lisa à Gregory tandis qu'ils les contemplèrent toutes deux.

La patience n'était pas le fort d'Ania. Pourtant, quand la rouquine devina que Léone cherchait sa réponse à l'horizon, ses fesses restèrent scotchées à leur perchoir. La solution se trouvait-elle à l'Est, où des zones désertiques naturelles contournaient la ville ? Ou bien de l'autre côté, au Nord-Ouest ? On racontait que s'y trouvait la mer, mais on ne pouvait la voir d'ici, c'était trop loin. Que cherchait Léone dans ce tableau ? Ania plissa le front très fort pour se concentrer. Qu'y avait-il donc à distinguer ?

Puis sans crier gare... La révélation survint. La colosse fut saisie d'effroi. Ses poils roux se hérissèrent sur ses avant-bras et un frisson parcourut son cuir chevelu. C'était là, juste sous son nez ! Elle en était sûre ! Non pas que sa matière grise eut arrangé quelques savants raisonnements ; ce fut son instinct qui lui souffla la réponse. Ania ne saisit pas comment elle le comprit, mais elle fut étrangement certaine de détenir la solution.

- Putain d'merdre. Foutre d'mammouth ! s'exclama Ania.

Il se dressait au loin, une chose qui lui avait toujours foutu la frousse ! Une chose sombre qui dominait de sa noirceur les Quartiers lumières et pointait agressivement vers le ciel. Une chose qui renfermait en son sein, les mystères les plus inquiétants du Bas-Monde. Cet édifice gouvernait même certains de ses cauchemars la nuit.

Ania éprouva une peur viscérale. Comme trop souvent, Makoo avait visé juste.

Léone n'avait jamais abandonné.

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant