3 mois plus tôt - Guet-apens dans la boue *

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Planté sur ses pieds dans une posture de conquérant, Ricker les toisait. Sa trogne sale affichait un air mauvais et satisfait. Lentement, il plongea la main dans la grande poche de son trench élimé. Il en ressortit un objet... Un objet qui fit froid dans le dos. Cette chose, Makoo et Léone la reconnurent au premier regard. Pour la grande satisfaction des hommes de Ricker, les visages du métis et de sa copine se décomposèrent, comme celui de deux gosses pris en flag. La confiance regonfla les poitrails des agresseurs.

- Ça vous appartient ça, j'crois, non ? demanda Ricker en agitant le réveil rouge ayant servi de détonateur sous le bastion du Warrigal.

La question était rhétorique. Ricker connaissait la réponse. Ce véritable salaud n'était pas con. Avait-il été fouiné dans les décombres de l'attentat ? Ou l'objet lui avait-il remis par un de ses contacts ? Comment ce truc avait-il pu ne pas exploser avec le reste ? « Il a dû être projeté dans l'eau » supposa Léone, blême, en calculant les implications alarmantes de sa trouvaille.

- Tu vois, y s'trouve que ce réveil appartenait à mon père et que j'me le suis fait tirer, le jour où vous avez dépouillé ma baraque. J'le reconnaîtrai entre mille... C'est dingue ces putains de coïncidences, t'en pense quoi, le grand Makoo ?

Le renard contracta sa mâchoire et garda le silence. Dans quel guêpier avait-il traîné la jolie brune et sa petite sœur ? Makoo et Léone évaluèrent la gravité de la situation ; la solution fit son chemin d'elle-même. Un regard échangé et ces deux-là comprirent être parvenus à une conclusion identique. « Ricker ne doit aller nulle part avec ce putain d'réveil ». Il ne devait aller nulle part, tout court. Cet objet devait disparaître aujourd'hui. Et il ne devait y avoir aucun témoin. L'atmosphère se colora d'idées de meurtre.

En face, Ricker n'en terminait plus avec son monologue :

- Tu penses qu'on t'vois pas l'artificier avec tes fusées, sur le toit d'ton immeuble ?! Vous croyez quoi ? Si vot' bâtiment était pas autant piégé, ça fait un moment qu'on vous aurait délogé ! Mais putain, on a dû poiroter des jours avant d'te choper à une de tes sorties, cracha-t-il. Ça n'fait aucun doute, la bombe de l'avant-poste du Warrigal ... C'était vous, hein ? Les Renards ! Haha ! Y a que Makoo pour faire des bombes pareilles ! s'excita-t-il tandis qu'une lueur mauvaise naquit dans son œil. Lorsque le Lieutenant l'apprendra, ça va me rapporter gros. Très gros ! Bon c'est pas l'tout, mais j'peux pas me présenter devant le Warrigal les mains vides. Va falloir qu'on vous emmène.

Ricker s'imaginait déjà assis sur un monticule d'or. Ses acolytes dégénèrent quelques outils aiguisés. Léone et Makoo se tirent prêts. La pluie s'intensifia, couvrant la scène d'un bruit de torrent sourd. Ricker fut obligé d'élever le volume de sa voix pour aboyer ses instructions.

- J'prends le p'tit con avec Sean. Il est coriace. Vous deux, faites-vous plais' avec la fille. Tu vas voir c'qu'on va lui faire à ta jolie copine... poursuivit Ricker en glissant le bout de sa langue sur ses lèvres gercées dans un geste bourré de sous-entendus.

Bien qu'il sût pertinemment sa partenaire capable de se défendre, un éclair de colère fendit le front de Makoo. « Ces deux connards vont avoir la surprise d'leur vie quand ils vont tomber sur Léone » se consola le jeune homme.

Deux énergumènes avancèrent déjà vers la renarde. Léone calcula son coup. Ils étaient certes plus grands, plus forts, plus âgés qu'elle, mais son ciboulot connaissait la musique. Puisqu'ils étaient grands, elle ferait en sorte que le combat se déroule bas. Puisqu'ils étaient forts, elle ne leur donnerait pas l'occasion de l'attraper ou de lui porter un coup. Puisqu'ils étaient plus âgés, l'adolescente les surpasserait en souplesse et rapidité. Comme elle savait si bien le faire, elle frapperait vite, là où ça fait mal. Tic, tac. Les rouages s'enclenchèrent sous sa caboche rusée. Léone fut concentrée. Les malheureux ne savaient pas dans quel bourbier ils venaient de se fourrer.

Un cri strident retentit soudain ! Si aigu, si perçant que tous les combattants en fixèrent l'origine. Il s'extirpait du dos de Léone, laquelle identifia ce cri avec effroi.

- Céleste ! paniqua Léone.

Sa cadette était en proie à une nouvelle crise d'angoisse. Ça ne pouvait pas tomber en de pires circonstances ! Le corps de l'enfant se raidit. Ses hurlements saccadèrent sa respiration et ses globes oculaires se révulsèrent... Puis tout dégénéra. Léone en oublia ses agresseurs pour se précipiter auprès de sa sœur. Elle posa un genou à terre et prit les menottes blanches de l'enfant dans les siennes.

- Céleste... Regarde-moi... implora doucement Léone, comme si le danger autour n'était plus que secondaire.

Sa supplique resta veine. Céleste voyageait ailleurs. Puis les yeux verts de l'enfant virèrent étrangement au noir. Léone répéta désespérément son prénom, sans que rien n'y fit. La laisser ici et la protéger du danger devenait sa seule alternative. Léone serra les poings, bien décidée à laisser déferler sa rage sur ceux qui avaient l'audace de s'en prendre aux siens.

Pourtant, quand elle fit volte-face, Léone ne vit que le chaos ! Un décor surréaliste s'était érigé dans son dos. Des objets virevoltaient inexplicablement entre les combattants, générant une panique générale chez Ricker et ses hommes ! Les plots de béton, les cailloux et les caisses brisés jonchant auparavant le sol, semblèrent dotés d'une volonté propre et attaquaient ouvertement leurs adversaires ! Leur désorganisation était telle que le danger fut momentanément éloigné pour les Renards. Malgré tout, aucun d'eux ne pensa à fuir. Léone n'envisagea pas une seconde d'abandonner Céleste sur place. Makoo contemplait cette scène, incrédule. Ricker et ses hommes se battaient avec... Des objets volants... Étaient-ils tous en train de vivre une hallucination collective ? Lorsque Sean fut transpercé au plexus par une tige de métal hargneuse projetant un jet sanguinolent sur le mur, Léone et Makoo admirent que cet effroyable théâtre était bien réel.

Puis le sol trembla. Les tibias de Léone sentirent les vibrations remonter jusqu'aux genoux. Et le mur se trouvant sur leur droite s'abattit d'un trait sur ses deux agresseurs. Ils moururent sur le coup, écrasés sous le béton armé. Leur hémoglobine s'éparpilla généreusement pour se fondre aux coulées d'eaux de pluie. Seul Ricker se tenait encore debout, au milieu de ses défunts camarades. Épouvanté par la scène, il prit ses jambes à son cou, mais Makoo, dont la présence d'esprit ne l'avait pas totalement abandonné, lança une lame qui s'encastra dans la gorge du fuyard. Ricker tomba raide à terre. Ses cheveux longs recouvrirent l'horreur peinte sur son visage. De sa paume inerte, un réveil rouge abîmé roula dans la boue.

Quatre cadavres jonchaient maintenant le sol aux pieds des Renards, tandis que les plots de bétons et autres semblèrent perdre leur énergie meurtrière. Makoo se repositionna prudemment auprès des membres de son Cercle, dressant un barrage entre les sœurs et ce tableau terrifiant... Puis, simultanément, les objets s'effondrèrent tous au sol. Inanimés. La caillasse ne semblait pas leur vouloir de mal. Céleste tomba d'épuisement sur ses genoux et Léone se précipita pour l'accueillir dans ses bras.

Makoo demeura interdit à leur chevet, surveillant vaguement les environs, puis en baissant les yeux il croisa ceux de Léone. Du béton volant, les colères de Céleste... Ceci ne pouvait être que de la télékinésie. Ils le devinaient, car la télékinésie était un mot qui se chuchotait ici-bas. Un mot qu'on n'osait jamais prononcer à voix haute, de peur que ça n'amène les Faucheurs.

Un air grave, lourd de sens, tira les jeunes joues des mousquetaires.

Céleste avait le « Don ».

Personne ne devait l'apprendre.


Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant