13 - Mirage au cœur de la nuit **

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Le poil hérissé sur le dos, la Renarde rebroussa chemin au pas de course. Ne quittant plus l'écran de végétation, les feuilles lui fouettèrent les joues et les branches agrippèrent ses cheveux. Dans sa course Léone bifurqua à gauche, à droite, deux fois gauche sans une once d'hésitation et fila droit vers la demeure d'Agathe. Sa cartographie mentale était heureusement fiable.

Deux kilomètres plus loin, la fragilité de son corps lui rappela qu'un marathon était prématuré. S'estimant hors de danger, Léone s'accroupit derrière un camélia et tâcha de se calmer. Il lui fallait réordonner ses idées. Dire qu'elle s'était donnée pour instruction de passer inaperçue... de son humble avis, elle avait « complétement merdé ». Jamais elle n'avait connu plus étrange rencontre que celle-ci. « Bordel, il s'est passé quoi ? » ruminait-elle tout en étant incapable de poser un traitre mot sur sa drôle d'expérience. Elle s'était sentie à la fois agressée et transportée, alors que l'étranger ne l'avait pas approchée.

Cette troublante mésaventure la conforta au moins sur un point : voyager à l'aveuglette sur les Plateaux pouvait se révéler périlleux. La maison d'Agathe était définitivement un refuge inespéré. D'ailleurs, Léone jugea bon de rentrer fissa au bercail. Elle parcourut les kilomètres restants prudemment, mais ne recroisa personne. En s'économisant les détours touristiques effectués à l'aller, son trajet fut considérablement réduit. La façade en pierres apparentes de son refuge surgit bientôt au bout de l'impasse. Soulagement.

Agilement, Léone escalada le tronc puis les branches de l'albizia et franchit la fenêtre de sa chambre en sens inverse. Son corps épuisé s'affala lourdement sur le parquet. Ses cuisses brûlaient de mécontentement. « Déso, j'ai p't-être abusé ce soir » leur glissa-t-elle en guise d'excuse. Son regard se perdit un moment dans le blanc immaculé du plafond. Pour une fille terre à terre, son aventure chez ces gens du ciel paraissait surréaliste. Heureusement, cette chambre lavande était là, comme une île perdue au cœur de l'océan.

« Agathe doit pas m'trouver comme ça » se secoua Léone encore affublée de ses haillons sur son pyjama de soie. Elle les ôta avant de les ranger dans son sac à dos. En y fourrant le foulard de la Favorite, une rancœur la mina :

- Sale traitre, lui asséna-t-elle.

C'était vrai ça, pourquoi avait-il choisit de s'envoler avec l'unique brise de la soirée ? Pile au mauvais endroit, au mauvais moment ? Dire qu'il avait vu son visage. Léone croisa les doigts pour ne jamais recroiser cet étranger. Cette rencontre à la fois inquiétante et fascinante, ne lui plaisait pas. Il avait réveillé en elle une chose dont elle préférait se débarrasser sans préavis.

La contrariété lui grignotait le moral.

Plus encore que cette énigmatique rencontre, le bilan de son excursion lui déplaisait fortement. En tout et pour tout, elle avait parcouru une quinzaine de kilomètres cette nuit et rien de ce qu'elle avait vu ne l'éclairait sur sa prochaine destination. Pire, de cet échantillon du nouveau monde, Léone en déduisit que les « Plateaux » n'étaient pas une simple plateforme de quelques kilomètres carrés flottant dans le ciel. Non, il avait fort à parier que leur domaine était « immense ».

Tout en gambergeant, Léone récupérera son carnet et un crayon dans le tiroir du bureau. Elle s'assit en tailleur sur le sol, à même le tapis, et les posa au sol. Bien au centre d'une page vierge du carnet, ses doigts pâles tracèrent un cercle de taille moyenne. « La Terre » se dit Léone en nommant son rond. Son ciboulot se remémora les acquis du Bas-Monde : il n'y avait plus de soleil nulle part. On racontait que la météorite s'était cristallisée, partout autour de la planète. Ainsi, Léone dessina un second grand cercle entourant le premier. « Les Plateaux » le nomma-t-elle. La circonférence du deuxième cercle faisait presque le double du premier. C'est alors que son cervelet comprit. Si elle avait pu pleurer, Léone l'aurait fait. Car tout à coup, la tâche lui parut incommensurable.

- La surface des Plateaux... représente peut-être le double celle de la Terre. C'est tellement grand. Où es-tu Céleste ? murmura Léone dans l'obscurité.

Cette excursion lui laissait un terrible goût amer. De rage, ses mains arrachèrent la page du calepin, la bouchonnèrent et l'envoyèrent s'écraser contre le mur.

- Est-ce que les Plateaux ont seulement un lien avec toi ? Es-tu quelque part ici, ou pas du tout ? s'énerva-t-elle.

Comment fouiller un monde aussi vaste ? Comment résoudre cette énigme ? Y parviendrait-elle seulement un jour ? Son espoir lui glissait des mains, comme si la brunette tentait de retenir de l'eau filtrant inéluctablement entre ses doigts.

Léone l'ignorait encore, mais la journée suivante lui apporterait un indice clé.

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant