- Oh regardez, Georges, elle se réveille ! s'exclama la vieille emballée par le phénomène.
Le visage de cette Dame déstabilisa immédiatement Léone. Il s'y dessinait une bienveillance sincère que la brunette avait rarement rencontré chez des adultes. Cela lui fit penser... « Au père de Céleste » s'emballa-t-elle soudain avec émotion, avant de s'empresser de cloîtrer ce sentiment pour rester sur ses gardes.
Ses yeux sombres balayèrent méthodiquement la pièce. C'était une grande chambre. Son ciboulot nota illico les issues : une large fenêtre et une porte. Pas de barreaux apparents... La fuite serait aisée une fois qu'elle serait remise d'aplomb. Ce constat rassurant effectué, le luxe des lieux l'épata. Les murs étaient sains, aucune fissure ou trace d'humidité ne les affligeait. Une peinture uniforme de couleur pastel recouvrait joliment leurs pans et, à la frontière du plafond, courait une élégante frise moulée. Un doux parfum de lavande se diffusait dans l'air. Cela tranchait radicalement avec les habitations du Bas-Monde, en particulier avec le béton froid et nu du Terrier. Léone abaissa son regard. Les draps sous lesquels on l'avait emmitouflée arboraient de jolies broderies et brillaient comme de la soie, si bien qu'elle ne put s'empêcher d'en caresser la texture du bout des doigts.
« C'est doux » songea-t-elle. Infiniment doux.
- Tu te trouves chez moi, expliqua la vieille pour la rassurer. Cette chambre sera la tienne aussi longtemps que tu le désireras. D'ailleurs, je crois bien qu'elle était déjà la tienne il y a quelques années...
Léone la dévisagea, un peu hébétée. L'homme racla sa gorge. La Dame reprit contenance et changea de sujet :
- Tu as dormi trois semaines complètes, mon enfant. Nous avons dû te perfuser pour t'hydrater et te nourrir.
D'un geste élégant, la Dame déplia son doigt et désigna un tuyau relié à son bras. Léone, qui ne connaissait pas ces technologies, eut un haut-le-cœur. « Dégueu ! » fit-elle. En bougeant légèrement le tuyau, elle fut rassurée de constater qu'il était souple et peu enfoncé. Il s'arracherait facilement en tirant un coup sec. Puis ses yeux s'écarquillèrent devant la peau blanche de son bras, indemne. Par quel prodige cela s'était-il produit ? Léone se souvenait encore de l'odeur de sa chair brûlée, des écailles sombres qui s'étaient formées sur sa peau, des cloques rougeoyantes qui pullulaient sur son corps la métamorphosant en monstre. Était-ce un miracle de la médecine ? Makoo lui-même n'aurait pas réussi un tel exploit !
Fort attentive, la Dame mesura son étonnement.
- Oh ! Ce matelas régénérateur dans lequel j'ai investi il y a quelques années fait des merveilles, l'instruit-elle en tapotant délicatement l'objet. Mon Dieu, ma pauvre petite, tu étais dans un tel état...
Des larmes gagnèrent ses yeux tandis qu'elle portait sa main devant sa bouche. Cet effroyable spectacle semblait l'avoir sincèrement secouée. « On dirait qu'elle s'est inquiétée... qu'elle a eu peur pour moi » jaugea Léone sans comprendre. Son comportement était si... « bizarre ». Seul ce mot lui vint à l'esprit. Tant de compassion chez une inconnue la perturbait. L'empathie était un instinct rare dans le Bas-Monde.
Léone détailla attentivement son interlocutrice. Derrière ses rides, vivait encore une grande beauté. La Dame était soigneusement apprêtée. Ses cheveux blancs immaculés et fournis étaient remontés en un chignon lâche, mais étudié. Un rose discret, presque naturel, maquillait le haut de ses pommettes et ses yeux clairs, un peu humides, brillaient intensément.
Léone attendit que son hôte reprenne la parole. Plus celle-ci s'exprimait, plus elle en apprenait sur sa situation. Cependant une vive fatigue l'envahit de manière inattendue. Léthargique, l'adolescente eut grand-peine à garder les yeux ouverts. Dans son état, ces quelques minutes d'éveil se révélaient éprouvantes.
- Mon enfant, tu as l'air épuisée, comprit la Dame. Simplement... Avant de te laisser plonger dans un sommeil réparateur, nous aurions besoin que tu répondes à une question...
Léone l'interrogea de son regard éteint. La Dame semblait ne pas avoir envie de poser sa question. Face à son hésitation, l'homme, dans son dos, se racla la gorge une seconde fois. Par ce geste, il intimait à la vieille de s'exécuter. Pleine d'appréhension, l'intéressée ajouta donc :
- Nous voulions savoir... si... si nous devions prévenir ta famille. Ils doivent être morts d'inquiétude, j'imagine.
Cette phrase lui coûta, ce fut flagrant, mais elle trouva la force de poursuivre :
- Je veux dire, si tu as une famille bien sûr... As-tu une famille ?
En écoutant ces mots, Léone distingua dans ces pupilles âgées la même note d'espoir que celle décelée dans la forêt. La Renarde, calculatrice, devina sans peine la réponse que la Dame désirait entendre.
Parce que c'était vrai, mais aussi pour les besoins de sa survie, Léone, d'un signe de tête, lui signifia que non. « Non ». Elle n'avait plus de famille. Si ce n'était une sœur perdue.
Puis le sommeil l'avala d'une seule bouchée.
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Destination interdite (Tome 1 - La Tour)
Mystery / ThrillerAu coin des ruelles sombres et nauséabondes du Bas-Monde, calfeutré dans le noir, on le chuchote tout bas... « Les Tours sont maudites. » Mais personne n'en sait plus. Sur la Terre, les rumeurs, mythes et légendes se répandent dorénavant comme une t...