10 - L'avertissement

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Agathe gloussait encore à son chevet, quand elles furent interrompues par un raclement de gorge provenant de l'autre côté de la porte. Léone se raidit illico. Elle évoluait depuis son réveil dans une bulle confortable, où n'existait qu'Agathe. Tout étranger en dehors constituait une menace. Encore imbibée par la nostalgie des souvenirs évoqués, Agathe ne remarqua pas la tension de l'adolescente et héla naturellement :

- Georges, est-ce vous ?

- Oui, ma chère. Ces Dames sont-elles visibles ? Puis-je me permettre d'entrer ?

« Le vieux de l'autre fois... » comprit Léone en se détendant légèrement. Celui-ci ne semblait pas vouloir la zigouiller.

- Entrez, je vous prie, l'invita Agathe sur un ton badin.

La porte s'ouvrit sur la silhouette de Georges. Dans son costume trois pièces, l'homme était tiré à quatre épingles. Il tenait encore son chapeau de la main gauche, après s'être découvert la tête, et sa canne de la main droite. Il était difficile de déterminer si la canne était utile ou si elle relevait uniquement de l'accessoire de mode. Sa droiture amenait à le supposer plus grand qu'il ne l'était. En réalité, le gentleman ne dépassait Agathe que de cinq centimètres.

- Je suis arrivé un peu plus tôt que prévu et, selon vos consignes, je me suis permis de vous rejoindre à l'étage...

- Et vous avez fort bien fait.

- Comment se porte l'enfant ? s'enquit l'invité.

- De mieux en mieux, mon ami. Je me suis laissée aller à évoquer des souvenirs de jeunesse. Oh, nous étions si fous à l'époque ! rit aux éclats Agathe.

Cette image secoua le cœur de Georges comme un cocotier. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas vu son amie s'exprimer avec tant d'allégresse et d'enthousiasme. Elle rayonnait ! Pris au dépourvu, il devint aussi muet que Léone. Ce fut donc Agathe qui indiqua à la convalescente :

- Ma petite Octavia, je t'abandonne quelques instants. (Les yeux de Georges s'arrondirent aussitôt et son expression changea du tout au tout.) Nous avons à discuter de choses d'adultes avec ce cher Monsieur De Larivière. Nous prendrons le thé sur la terrasse. D'ici là, tâche de te reposer.

En se levant, la Dame rempluma l'oreiller de Léone et lui sourit affectueusement. Puis, dans une belle ondulation de sa robe longue, elle pivota pour sortir de la chambre. Georges, figé l'instant d'avant, s'écarta selon les convenances, ouvrit le passage à sa Dame et lui tint la porte.

Avant de refermer le battant, l'homme jeta sur Léone un regard soucieux et dubitatif.

L'ouïe de la Renarde distingua ensuite le bruit de leurs semelles descendre l'escalier et rejoindre la cuisine du rez-de-chaussée. Léone mordit sa lèvre inférieure. Évidemment, elle avait remarqué la réaction forte de l'homme lorsqu'Agathe l'avait appelée « Octavia ». À n'en pas douter... ils allaient parler d'elle. Il lui fallait en savoir plus. Ses bras virèrent la couette et d'un pas mal rétabli, Léone tituba vers la porte. En appuyant le plus délicatement possible sur la poignée, elle rouvrit le battant de quelques centimètres afin d'écouter :

- Vous la nommez Octavia, constata immédiatement Georges lorsqu'ils parvinrent à la cuisine.

En son absence, les choses étaient allées si vite. Cela le déstabilisait et l'effrayait.

- Oui, admit Agathe. Plus je la côtoie et plus cette certitude s'installe.

- C'est de la folie, objecta Georges. Nous ne sommes certains de rien. Je n'ignore pas avoir promis de vous aider à garder l'enfant à vos côtés, mais je vous en prie, Madame... Avant de nous lancer dans un mensonge d'envergure, ne croyez-vous pas qu'il serait opportun de procéder à minima à... un test génétique ?

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant