Bonus : Prologue Tome 2 *

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Les iris noirs du prédateur épiant Eugénie ne clignèrent pas une fois avant le départ du Tube. Une lueur de satisfaction perla dans ce regard glacial et calculateur. Une foi l'engin enfoui sous terre, la panthère brune sauta allégrement de l'arbre dans lequel elle s'était perchée. L'adrénaline de la chasse fourmillait sous son épiderme. Léone cracha un joyeux mollard dans la pelouse. « Celle-ci a flairé que j'la suivais. Des quatre, c'est la moins con » se ravit l'enfant du Bas-Monde. Encore un bon point en faveur d'Eugénie (ou peut-être un mauvais, si l'on se plaçait du côté de la proie).

Dotés de leur Chi remarquable, les étudiants de Lancia se révélaient certes plus difficiles à pister qu'un natif des vieilles villes, mais Léone y parvenait malgré tout, en additionnant les précautions. Ses cibles, quatre au total, étaient si confiantes et peu alertes que la traque était rendue possible, même avec leur étrange pouvoir. Seule la fameuse Eugénie Ucatanes soupçonnait son existence. Décidément, cette adolescente aux traits hispaniques lui plaisait bien. Celle-ci venait de se hisser au top de sa sélection machiavélique et Léone envisageait sérieusement d'en faire son quatre-heure.

« Eugénie Ucatanes » mâchonnait son cervelet roublard en élaborant toutes sortes de projections. En classe, les professeurs appréciaient Eugénie pour sa docilité et ses connaissances étendues, deux qualités ne laissant pas la renarde indifférente. Lorsqu'Eugénie avait débité pour la première fois ses leçons, sans respirer, telle une machine au savoir infini, cela avait immédiatement capté son attention. En effet, Léone désirait sélectionner un élève doté de connaissances étoffées, car dans ce nouvel univers... l'enfant du Bas-Monde avait désespérément besoin d'un guide, quelqu'un susceptible de tout lui expliquer, de tout lui apprendre. Autrement dit, « pas le premier débile venu » s'était-elle fixé pour règle de recrutement.

Depuis que son fessier écumait les fauteuils de la Haute École, le cervelet de la brunette vivait une agonie permanente. Malgré tous ses efforts, son muscle mou ne comprenait rien à rien ! Ses doigts blancs avaient beau gratter son cuir chevelu pour stimuler sa matière grise, ça ne fonctionnait bigrement pas. Léone devait se l'avouer, ici, sa cervelle était complétement larguée. Son ignorance, si vaste, empêchait toute compréhension du savoir distribué en classe. Dire qu'elle avait fomenté d'immenses espoirs en Lancia pour lui enseigner l'Histoire du Monde, la Mécanique du Chi... Quelle déception ! Elle courait pourtant de gros risques en usurpant quotidiennement l'identité d'Octavia Neigemett. La situation devait impérativement se débloquer, faute de quoi son enquête végéterait au point mort. Car Léone ne poursuivait qu'un unique but : retrouver Céleste, sa petite sœur ravie par les Faucheurs.

« Quand on s'trouve l'cul dans une impasse, faut prendre un risque » enseignait le sage Makoo. Léone avait donc accepté de courir un nouveau risque et de s'adjoindre les services d'un guide à Lancia. Manipuler une autre personne qu'Agathe Neigemett pouvant écorcher sa couverture, la fourbe renarde travaillait à minimiser le danger en la personne choisie. Son cervelet perfide visait un étudiant isolé, sans amis. Ainsi, d'une part sa cible ne l'inviterait pas à se mêler aux autres et d'autre part, son absence ne se remarquerait pas immédiatement s'il devait lui arriver malheur... Bien-sûr, avant toute résolution meurtrière, Léone projetait d'intimider sa victime si celle-ci venait à avoir des doutes sur son identité. Une personne facilement impressionnable tenant plus aisément sa langue, il lui fallait un ou une peureuse. Et ça, Léone l'avait pigé tout de suite, Eugénie Ucatanes était une intraitable trouillarde. Si la renarde lui montrait les crocs, il y avait fort à parier que l'étudiante hispanique s'évanouirait d'effroi.

« Et puis, elle connait les lieux comme sa poche » ajouta encore Léone au crédit d'Eugénie, en comparant son oie blanche aux autres concurrents figurant sur sa liste tortueuse. Ses pupille ébènes avaient observé Eugénie se faufiler discrètement dans des couloirs inconnus aux autres. Cette fille discrète était un GPS ambulant, tandis que la Haute École Lancia était... Gigantesque.

Même dotée d'un sens de l'orientation irréprochable, au bout de trois jours à explorer de long en large salles, jardins, annexes et autres folies d'architecture, l'enfant du Bas-Monde ne s'y retrouvait pas. Outre son envergure déraisonnable, l'École était conçue bizarrement. De l'humble avis de Léone, « l'architecte avait dû picoler du frelaté l'jour où il a gribouillé ses plans ». L'emplacement des pièces, des couloirs et des escaliers heurtait profondément la logique. Classiquement, un couloir conduisait efficacement d'un point A à un point B, sans détour, et en profitait pour desservir quelques pièces sur son chemin. Les couloirs de Lancia, eux, avaient la fâcheuse tendance à dessiner un huit de chiffre pour vous ramener au point de départ. Léone résumait en disant « huit de chiffre », mais son radar avait également identifié des couloirs s'arc-boutant en forme de trois, de neuf, de deux... Leurs tournicotis rendaient la renarde chèvre. Outre leurs formes improbables, ces odieux couloirs omettaient fréquemment de desservir les salles à l'aide de portes. Régulièrement, Léone empruntait un couloir durant une dizaine de minutes, montait quelques marches, en redescendait, ne croisait aucune porte, et se retrouvait au mieux à son point de départ, au pire dans un cul de sac.

« L'architecte mériterait qu'on lui fasse rôtir les coucougnettes au bûcher » pestait Léone qui lui en tenait rancune. Heureusement pour lui, ce maître réputé de la création avait trépassé depuis longtemps.

Dans ce décor abracadabrantesque, le savoir-faire d'Eugénie, consistant à se faufiler facilement partout, était une pépite. Il suffirait à Léone de la mettre en laisse et de l'éduquer pour qu'elle remplisse à la perfection son job de chien d'aveugle. « Eugénie... Ce sera elle ! » décréta Léone. Les trois autres étudiants auraient la vie sauve. Eugénie Ucatanes était dans de beaux draps.

Mais bon... Avant de mettre en œuvre son plan machiavélique, encore fallait-il qu'elle sache, là, tout de suite, maintenant, elle situait. Les pieds joints, les mains sur les hanches, au centre de la petite cour séparant une entrée du Tube et ce somptueux jardin à l'anglaise, Léone tournicota trois fois sur elle-même pour se repérer... Cependant, rien dans ce foutu décor ne lui évoquait un déjà-vu.

De dépit, ses iris noirs s'envolèrent au ciel.

« Mortecouille... Et ben voilà. Encore paumée ! »


Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant