La Tour - 27ème jour

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Se tenir sur ses jambes, garder l'équilibre, son corps n'en avait plus la force. Incapable de monter debout, Léone poursuivait son ascension à quatre pattes.

Sa faiblesse physique était telle que les crises de délire surgissaient de plus en plus fréquemment. Parfois son ciboulot oubliait les dernières heures vécues, c'était comme s'il enclenchait un mode pilote automatique. À d'autres moments, par un étonnant effet de projection, Léone devenait spectatrice extérieure de sa vie et observait avec curiosité son propre corps gravir les marches. D'autres fois encore, Léone se retransformait en animal. Pas un prédateur, une proie, plutôt. Elle avait alors la sensation d'être poursuivie par une présence invisible qu'elle fuyait vers les hauteurs de l'escalier, sollicitant ses genoux et ses mains tel un mammifère blessé. Léone jetait sans arrêt des œillades par-dessus son épaule, sans n'avoir ne jamais rien distingué en contre-bas.

Soudain, la raison se fraya un chemin sous sa boîte crânienne.

Léone s'arrêta net, dans la posture d'un chien d'arrêt en chasse. « J'deviens tarée » constata-t-elle en observant sa position. Elle s'accroupit et détailla ses mains. Contrairement à la plante de ses pieds, ses paumes ne portaient pas de chaussures ; ces dernières étaient vilainement égratignées. Ces petites plaies piquaient.

« Mon corps faiblit trop vite » réalisa Léone. Un sentiment d'impuissance l'envahit. « J'vais faire une pause... Ça ira mieux après » se convainquit-elle.

Épuisée, elle se laissa rouler sur une marche, sa queue de cheval se balançant à nouveau dans le vide. Cette habitude, elle l'avait perdue à mesure que la démence gagnait du terrain. Ses paupières sèches se fermèrent pour l'aider à se calmer. Ses muscles se relâchèrent un à un et ses poumons ralentirent sa respiration. La folie apprivoisée, Léone quantifia enfin l'ampleur des dégâts. La détresse de son enveloppe charnelle était plus grande qu'escomptée. Son obstination à vaincre la Tour et sa psychose avaient fait taire ses douleurs. Cependant... Ses membres ne la porteraient plus longtemps maintenant, c'était une évidence.

En outre ses gourdes étaient bientôt à sec et les nuages, trop bas pour bénéficier encore d'eau de pluie. L'adolescente savait que l'être humain ne pouvait pas survivre plus de trois jours sans eau. Au vu de son effort quotidien, de ce que son corps transpirait, urinait, elle ne tiendrait pas plus de deux jours.

Son périple touchait à sa fin. La Tour gagnait.

Pour la première fois depuis le commencement de sa quête, Léone sentit ses convictions lui glisser entre les doigts. « Si j'y arrive pas... Que deviendra Céleste ? » Cette pensée lui asséna un coup de poignard au cœur. « Ne pas penser à l'échec » s'ordonna-t-elle. Sans quoi le désespoir prendrait le pas sur sa rage et annihilerait sa force. Ses paupières s'ouvrirent sec. Au-dessous, luisait sa ténacité.

C'est alors qu'elle le distingua... Cet éclairage inhabituel, trop diffus pour ne provenir que d'une meurtrière. Son cœur battit à tout rompre ! L'ouverture devait être gigantesque pour laisser la lumière s'infiltrer de la sorte dans l'édifice.

Léone sourit faiblement. La faim avait pâli ses gencives et la soif gercé ses lèvres. Pourtant son minuscule rictus traduisait une joie immense. Car la renarde en fut convaincue... Il s'agissait là du tout premier signe.

Celui de la sortie. Celui du sommet de la Tour.

L'espoir revint.

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant