17 - Un pendentif pour une disparue **

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Le pouce Agathe avait repalpé son badge losange. Puis l'index de Léone avait touché la vitre dont le verre s'était miraculeusement brisé en un rond net, permettant l'accès la friandise nichant derrière. Son avant-bras avait effectué un aller-retour cursif, de peur que la vitre change d'opinion et se matérialise sur son poignet. Sa langue décrochait encore le caramel collé à ses molaires, quand la voix robotique résonna dans la cabine :

- Mesdames, vous voici arrivées à bon port. Ce fut un plaisir de vous y accompagner.

- Oui oui, merci, éluda Agathe en s'appuyant sur les accoudoirs du fauteuil pour se lever.

À peine fut-elle debout, que les doubles portes du salon s'ouvrirent dans clappement étouffé. En face, un tunnel remontait vers la surface. Les voyageuses s'y engouffrèrent. Les rayons du soleil éclipsèrent bientôt les loupiotes artificielles, puis l'ambiance chambarda. Un bouquet confus de voix se déversa dans la cavité. Plus le couloir souterrain s'élevait, plus le brouhaha gagnait en force. « Y a du monde, là-haut... Beaucoup de monde » articula mentalement Léone. Ses pieds se figèrent brutalement. Ses sens enclenchèrent l'alerte maximale. Ce bruit de foule tétanisa ses os. À quoi pouvait-elle s'attendre ? Des télépathes qui apprivoisaient malicieusement leurs proies ? Des télékinésistes lanceurs de poignards ? Son instinct de survie lui hurla : « Redescend ce foutu escalier ! Casse-toi, maintenant ! » Ses globes sortaient de leurs orbites et laissaient leurs angles blancs veineux apparents.

« Calme ! » s'ordonna Léone en domptant ses démons intérieurs. « Agathe aurait pas trimballé Octavia ici, si elle risquait d'se faire zigouiller ». Ralentir sa respiration. Ne pas laisser la peur contaminer la raison. La Renarde maîtrisait cet art par cœur. Du sang froid revint dans ses artères. Ses tympans épluchèrent les sons. « Pas d'cri de douleur ou de détresse » notèrent-ils. Seulement un prénom ou deux de gens qui s'appelaient joyeusement par-dessus la cohue, ou des éclatants « bonjours ». « Pour retrouver Céleste, faut que j'monte » se dicta Léone en accédant à l'embouchure.

Ses sandales accostèrent à la surface. Impossible d'identifier ce qui lui sauta en premier au visage. L'espace. La végétation. Les couleurs. La foule. L'animation ! Sur une place gigantesque où triomphait un immense obélisque sculpté, circulaient familles, demoiselles apprêtées, vieillards et autres étonnants autochtones, dans une cacophonie inaudible. Leurs accoutrements mélangeaient des couleurs et motifs extravagants. Leurs gosiers riaient ou s'exprimaient fort. Leur attitude était démonstrative voire exubérante, cependant, Léone ne surprit pas un soupçon de télékinésie. « La télékinésie c'est pas poli » lui rappela son ciboulot ayant enregistré les paroles d'Agathe. « Et la télépathie, c'est rare et quasi tabou ». Ce constat dilua ses craintes et l'autorisa à analyser le cadre.

La place en elle-même était envahie par un désordre étudié de plantes exotiques, dont les fleurs, atteignant la taille d'une commode, embaumaient les lieux d'un parfum capiteux. Des lianes feuillues enserraient des sculptures artistiques de bois, de verre ou de pierre. Léone trouva une ressemblance avec les illustrations des ruines perdues du Livre de la jungle, si ce n'était que l'ensemble était improbablement chic. En effet, entre deux ribambelles de palmiers, un tapis rouge ouvrait la voie sur un sol mosaïque. Bouché bée de stupéfaction, Léone en oublia d'avoir peur.

- L'obélisque des Tropiques, annonça Agathe. Le marché des halles printanières débute deux rues plus loin.

« Des rues ? Parce qu'on est en ville ? » tenta de comprendre la brunette dont le minois pivotait comme une girouette. En effet, en décortiquant le paysage, l'obélisque était cerné d'immeubles de deux ou trois étages. Leur hauteur raisonnée les empêchait de surplomber la cime des palmiers. Seules les dorures prétentieuses ornant les balcons trahissaient leur présence en réfléchissant la lumière à travers la végétation.

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant