20 - L'heure du thé meringué *

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L'instant d'après, Léone, qui ne saisissait pas comment Agathe l'avait trainée si vite au rez-de-chaussée, se tint face à Rosaline Bergamot. « Merde alors, une femme-meringue ! » avisa la Renarde. Désormais plus habituée à côtoyer de parfaits inconnus, l'enfant du Bas-Monde servit un sourire calculé à son interlocutrice, accompagné d'un hochement de tête poli, identique à celui que sa grand-mère employait à tout bout de champs. « Tout comme les gens d'ici » ricana intérieurement l'infiltrée.

- Dieu du ciel, qu'elle est jolie ! félicita Roseline.

Bien-sûr, Madame Bergamot trouva également à la petite un air pâle voire maladif, mais n'en avoua rien de crainte d'affecter son hôte. Elle s'enquit néanmoins de sa santé et Agathe épilogua sur le mutisme et l'amnésie de sa pupille, ce qui attrista considérablement l'invitée. Tant de compassion chez une étrangère scia encore les jambes de Léone. « Mortecouille, la femme-meringue ressemble trop à un Bisounours » pesta-t-elle en s'éloignant de peur d'être contaminée par tant d'altruisme. Dans sa fuite, la brunette exécuta un submersible crochet jusqu'au guéridon et les pâtisseries y trônant furent décimées. Léone n'aurait certainement pas poussé la politesse jusqu'à se faire chaparder son quatre-heure. Ce fut donc l'estomac plein qu'elle s'attabla à la cuisine pour sa mission de l'après-midi : définir les enseignements à suivre à la Haute École Lancia.

Entre les Dames, dans le salon raffiné, le sujet dériva bientôt sur l'Hôpital Saint-Augustin et Agathe culpabilisa terriblement en servant ce bobard à sa fidèle amie. L'air dévastée de Rosaline quand elle prononça « Confusion traumatique », n'aida pas à soulager sa mauvaise conscience. S'il n'existait aucune raison de douter de la loyauté de Rosaline, l'honnêteté absolue de la femme-meringue en faisait une terrible menteuse. Lui dévoiler la supercherie aurait pu compromettre Octavia.

Cet aparté fini, les Dames investirent à leur tour la cuisine. Leurs tasses de thé fumantes dans une mains, elles piochèrent de l'autre dans la paperasse estampillée Lancia et initièrent un marathon de commentaires. Léone pigea vite qu'entre Rosaline Bergamot et Agathe Neigemett, quand bien même sa langue n'avait pas été muette, il aurait été impossible d'en placer une. L'immixtion de ces pipelettes en chef était la bienvenue, car liste des matières, improbablement longue, comprenait parfois des programmes complexes. « J'y bite que dalle » ronchonnait Léone quand les dépliants citaient les mots les moins célèbres du dictionnaire.

Son ciboulot triait et ciblait les cours susceptibles de l'aider dans son enquête, mais aussi de comprendre le Don de Céleste. Néanmoins certaines disciplines, telles que Perfectionnement de la télékinésie ou Exploits du corps grâce à la mobilisation du Chi, risquaient fort de dévoiler son imposture et devaient impérativement être écartées. Léone se savait incapable de réussir un « lancé de trente-deux trombones » comme s'en vantait Rosaline en agitant ses ongles vernis, ni plus de « convaincre ses cheveux de pousser de dix centimètres en moins de deux jours » comme l'exposait Agathe en triturant son chignon. Bref, le tout était de bien choisir pour camoufler son incompétence latente.

Dans un premier temps, Léone sélectionna des cours exclusivement théoriques. Sur les conseils des mamies, elle en cocha trois et nourrit de grands espoirs dans La Théorie du Développement du Chi chez l'enfant et l'adolescent, par le Docteur Armand MANELO. Ce gars-là lui apprendrait peut-être pourquoi Céleste avait chopé le Don à l'âge tardif de onze ans.

Puis Léone fut immédiatement emballée par Mécanismes d'auto-défense contre les agressions de télépathes. Elle agita la brochure jaune devant les bavardes pour récolter leurs avis :

- Une matière très utile si tu désires t'orienter vers le commerce ou la politique, acquiesça Agathe.

- Cette discipline avait pour moi été cauchemardesque, confia Rosaline. Lors d'un exercice pratique, Selena Jocasse avait vu dans mes souvenirs que j'avais fait pipi au lit tardivement. Cette peste n'avait pas manqué de le répéter à toute la classe. J'en étais morte de honte.

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant