18 - Faustin *

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Léone ondulait tel un serpent entre les badauds. Elle circulait avec une dextérité innée sans les frôler. Hormis ses Renards, le contact physique avec des étrangers lui collait de l'urticaire. Ses doigts blancs trituraient langoureusement son butin. « Céleste va adorer » jubilait Léone. Sillonner la foule avait beau mobiliser ses sens, son ciboulot orchestrait mille tâches de concert. Aussi, tout en jetant un œil mécanique aux sacs ouverts provocateurs des passants, Léone cherchait l'Atelier Zigmenam où Agathe passait commande. « Alerte. Alerte » s'émut soudain son cervelet. La Renarde eut la désagréable sensation d'être suivie. L'affluence du Marché des Arts était si forte, qu'elle ne sut dire si son appréhension était légitime ou si sa phobie de la foule lui jouait un tour. Le rythme de ses sandales accéléra, quand de longs doigts enserrèrent son avant-bras.

- Mademoiselle, excusez-moi... entendit-elle prononcer.

Ni une, ni deux, Léone fit volteface. Son mouvement brusque conduisit l'étranger à la lâcher illico. Il parut tout aussi stupéfait par la vivacité de son recul, que si elle lui avait asséné une gifle. Le jeune homme était grand, svelte, mais bien bâti. « Heureusement, il fait pas entrainé pour la castagne » contrebalança Léone, prête à lui coller son genoux dans les roubignoles.

- Excusez-moi, répéta-t-il. Il semble que je vous ai surprise, telle n'était pas mon intention.

« Carrément qu'y m'a surprise. J'l'ai pas senti approcher, celui-là. » La foule environnante déréglait-elle son radar à enquiquineur ? Léone le dévisagea. « Mortecouille, il est beau ». Ça sautait au nez. Voilà le second spécimen d'exception qu'elle rencontrait en deux sorties seulement... Les autochtones des Plateaux différaient radicalement de ceux du Bas-Monde, « en mieux » mesura l'infiltrée. Léone eut le sentiment d'être montée sur l'Olympe et de croiser des Dieux à l'allure sublime à chaque coin de rue. Agathe, la première, n'était-elle pas formidable pour son âge ? Quant à ce garçon, ses cheveux châtains soigneusement coiffés collaient l'envie d'y glisser ses doigts, son grain de peau coloré par le soleil respirait la chaleur et une intelligence rare perçait dans ses iris noisette. Il ressemblait à un délicieux chocolat. Quelques grains de beauté discrets offraient à son visage déjà harmonieux, une coquetterie naturelle. Tant de raffinement rappelait, malgré tout, qu'il s'agissait d'un chocolat de luxe, de ceux qu'on observe en salivant à travers une vitrine sans qu'il soit permis d'y goûter.

Léone n'était pas insensible aux ravages que peuvent provoquer de tels physiques chez le sexe opposé. Cependant, elle n'était jamais entrée dans une chocolaterie de luxe et son instinct de survie dominait encore ses réactions. La sentence fut donc sans appel : « Y m'veut quoi, ce foutu chocolat ? »

Faustin perdit ses moyens. Sa souris inoffensive le dévisageait sévèrement, pour ne pas dire furieusement. L'hésitation le bloquait. Initialement, il avait eu pour vague projet de la taquiner sur le vol - un prétexte pour discuter et découvrir ce qui se tramait derrière son énigmatique apparence. Mais son minois inhospitalier lui sciait les jambes. D'habitude, les gens ne lui opposaient pas autant d'animosité, bien au contraire. Tous l'appréciaient. Mince, à présent qu'il l'avait interpelée et qu'elle patientait, il devait prendre la parole sur le champ.

- Vous avez été surprenante. Ce bracelet... bredouilla-t-il en affichant une moue chargée de sympathie.

« Nom d'un lombric trop cuit ! » s'alarma Léone. Son délit venait d'être démasqué ! Comment réglait-on les vols au nouveau monde ? On coupait les mains ? Ou on zigouillait, tout simplement ? Comment se débarrasser de ce témoin gênant ? D'instinct ses doigts blancs coururent jusqu'au couteau caché dans le ruban de sa robe... Au même instant, Agathe surgit à ses côtés :

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant