Destination interdite (Tome 1 - La Tour)

La Tour - 7ème jour

Au souvenir des soirées exaltantes célébrées chez les Renards, adossée contre la pierre froide et humide dans l'obscurité de la Tour, Léone mit fin à son mutisme et entonna fébrilement les premières notes de l'hymne qui leur plaisait tant. N'ayant personne avec qui converser, l'adolescente avait perpétué le silence religieux des lieux depuis son arrivée. Sa première semaine avait été terriblement longue et solitaire. La vie au creux du monument était austère au point que, si Léone n'était pas aussi déterminée, elle aurait volontiers tenté de repasser devant la Garde Bleue en sens inverse.

La chaleur du Terrier lui manquait cruellement.

En poussant la chansonnette, Léone renoua avec le son de sa voix et les notes s'enchaînèrent timidement mais joliment les unes aux autres. Son éclatante voix rompit le silence de mort et la roche ancestrale autour frémit sous la caresse d'un son si mélodieux.

Ses paupières s'abaissèrent et Léone s'imagina téléportée sur le toit du Terrier. Là-haut aussi parfois, le froid humide vous chatouillait les narines comme dans la Tour.

Puis ses cordes vocales offrirent davantage de force aux notes de l'hymne joyeux entonné. Les paroles de la chanson, retraçant les aventures rocambolesques d'un guerrier intrépide, insufflèrent la vie aux parois taciturnes de la Tour. Pour la première fois depuis son arrivée, Léone entendit des bruits autres que ceux des cris des oiseaux. De la vie existait donc entre ces pierres... Le crépitement de pattes et le bruissement d'ailes trahissaient la présence d'insectes discrets ayant élu domicile dans les interstices des cailloux. Léone ne craignait guère ces bestioles et puisa en leur présence, un maigre réconfort à la solitude. Tout ici n'était donc pas silence et ruine.

Une fois le premier couplet extirpé de son gosier, le mutisme des premiers jours lui parut étrangement loin et Léone put avec une facilité déconcertante, injecter de la sève au refrain enjoué et féroce de sa chanson ! Sa peau blanche ressentit presque la chaleur de la flambée des Renards venir la choyer. Le craquement du bois consumé et le crépitement d'une fusée d'artifice dans les airs heurta soudain ses tympans. Le bidon sur lequel les jumeaux battaient le rythme, résonna depuis sa mémoire jusqu'à ses oreilles, accompagné du rire rauque d'Ania ! La rouquine devait encore s'amuser des chorégraphies tirées par les cheveux du P'tit Brice. Léone tapa du pied en rythme, Lisa la Fouine et Grégory frappèrent dans leurs mains pour l'accompagner. À présent, les Renards étaient tous là ! La risette aux lèvres et les pommettes rehaussées par le bonheur !

À la fin de sa représentation, Léone arbora un sourire béat. Comme d'habitude, Makoo et Céleste l'applaudirent avec allégresse pour saluer son talent ! La chanteuse s'inclina bas pour saluer ses spectateurs dans un geste théâtral, mimant avec burlesque ces révérences dessinées dans les livres anciens.

Céleste ria aux éclats, elle aimait tant voir sa sœur aînée faire le pitre !

En se redressant, Léone tomba nez à nez avec le cœur vide de la Tour. La réalité reprit brusquement ses droits. Unsilence pesant reconquit l'édifice, effaçant le feu de camps, les fusées, lesapplaudissements, ses Renards. Makoo et Céleste étaient en fait bien loin... Le cœur de Léone se serra.