11 mois plus tôt - La Revanche du Bastion *

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Les deux mousquetaires s'étaient marrés comme des baleines ! L'explosion avait été colossale. La déflagration avait fait onduler les caillasses des rues et des bouts du bastion avaient été projetés à quelques centaines de mètres ! Depuis, une fumée craie envahissait les boyaux alentours. Un volcan semblait s'être littéralement réveillé au cœur de leur Secteur, crachotant sa colère sur la citée de béton sale. Nul ne put ignorer leur drôle d'escapade

Réfugiés sur le toit du Terrier, l'adrénaline enivrait encore Léone et Makoo, tandis qu'ils nettoyaient leurs vêtements imbibés de salissures dans un bidon gorgé d'eau de pluie. Des mimiques farceuses sautaient d'un visage à l'autre. Le premier balançait un commentaire codé au second, qui ricanait presque compulsivement tel une hyène. Leur complicité fleurissait de jour en jour et, aucune inquiétude quant au contrecoup de leur crime ne ternit cette marrade sans fin. Malgré la dangerosité de leur expédition punitive, leurs précautions devaient garantir leur sécurité. Le Lieutenant avait beau être bien renseigné, les chances qu'il remonte à eux étaient infimes, du moins, ils en étaient convaincus.

Les jours suivants, l'impensable se produisit. L'assassinat de l'humoriste avait, semblait-il, suscité l'indignation générale dans les foyers délabrés des quatre coins de la citée. Si la lâcheté et l'égoïsme embourbaient habituellement les lieux, l'explosion du bastion mit le feu aux poudres. Ragaillardis par cet attentat inattendu, de premiers insoumis vinrent apporter leur pierre à l'édifice. Dans une réaction en chaîne, tout un tas d'exactions contre le Warrigal virent le jour, que lui et ses hommes eurent grand mal à contenir. Ses détracteurs se révélèrent si nombreux, qu'il fut difficile au Lieutenant d'enquêter sur l'origine de l'attentat.

Dans ce contexte, nul ne fit de rapprochement entre l'œuvre du métis et l'explosion du bastion. D'innombrables bougies furent déposées au pied du portrait par les résidents du quartier, l'humoriste se révélant tout compte fait célèbre ici-bas. Makoo et Léone furent les premiers stupéfaits devant le tsunami de réactions engendré par leur modeste attentat. Mi-fières, mi-penauds, ils avaient le sentiment d'avoir filer un coup de pied rageux dans la porte d'une vieille bicoque, pour la voir s'effondrer entièrement l'instant suivant.

Un soir, assise en tailleur dans la poussière au pied de la peinture, Léone veilla un long moment en compagnie de Makoo. Le halo des cierges déposés et leurs ombres dansantes reforgeaient les traits du clown. Le métis murmura à sa partenaire que cette mobilisation générale montrait que les hommes désiraient au fond que la vie s'améliore ici-bas. Et, puisqu'ils le voulaient, le renard en déduisit qu'un jour, les choses changeraient. Cela ne serait pas soudain, non, cela serait progressif, mais tout irait mieux dans cent ou cent-cinquante ans. D'un optimisme réconfortant, Makoo aspirait à un monde meilleur comme il en existait soi-disant un par le passé. Il lui parla d'ouvrages datant du 21ème siècle, évoquant des pays dans lesquels on mangeait et buvait à volonté, où l'on se promenait en sécurité. Certes, c'était il y a très, très longtemps. Le métis estimait que l'être humain avait régressé et Léone se demandait d'où lui venaient son imagination et ses idées.

La brunette se trouvait si différente, si risible. Même sous son meilleur jour, la grandeur de sa personnalité ne rivalisait pas avec la noblesse et le brio de Makoo. Ses petites mains blanches étaient ignares du dessin ou de la peinture. Son esprit n'aspirait nullement à un monde meilleur. Seule la survie comptait, voilà tout.

- C'est faux, t'es pas qu'une survivaliste, contrecarra le jeune homme. Toi aussi, t'es une artiste. D'ailleurs, ta voix et ton sens du rythme sont uniques, c'est pas pour des clous qu'on te tanne pour qu'tu chantes autour du feu d'camp. Et puis, sous tes airs de guerrière, t'as du cœur. C'est pour ça qu't'aime ma vision du monde, mes peintures et la musique. Ton feu intérieur est... Inestimable.

Ces phrases bousculèrent de plein fouet la construction identitaire de Léone. Makoo était économe dans ses mots et quand il causait, affreusement bien pour un gars du coin, chaque syllabe prenait sens. Au Terrier, tous s'accordaient à dire que le leader discernait mieux ses renards qu'ils ne se connaissaient eux-mêmes. Son « feu intérieur » était-il aussi admirable qu'il le décrivait ? Léone peinait à y croire. De telles qualités flambaient-elle réellement en son for intérieur ? Sa propre mère lui avait toujours interdit de briller. Cet éloge qui sonnait faux, provenait d'une bouche où tout sonnait vrai. Léone fut sacrément déstabilisée. Alors, sous couverture de la pénombre, le métis se pencha vers elle et sa bouche murmura dans ses cheveux bruns :

- À la fois dure à cuire et bohème... J'aime tes paradoxes.

« Paradoxe » reprit le cervelet logeant sous la tête brune. « Biiip. Erreur. Mot inconnu au dictionnaire » grésilla le muscle mou et Makoo l'avait lâché dans le but étudié d'accroitre la confusion en elle. Ce temps de latence lui permit de déposer un furtif baiser sur ses lèvres roses, un baiser humide et chaud dans les courants d'air glaciaux de la citée grise. Puis il l'abandonna hébétée, pour emprunter précipitamment la direction du Terrier, tel un chenapan déguerpissant le lieu de sa bêtise. Le métis jeta un dernier regard moqueur par-dessus son épaule. Léone pouffa. Son cervelet imputa ce geste impudent à l'émulsion de la soirée, ignorant qu'il existait dans cette marque d'affection, un sens caché plus profond.

Léone se releva sur ses guibolles et lui courut après.

La jolie brune et le métis cavalèrent jusqu'au Terrier comme deux gamins insouciants.


Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant