Céleste était la plus mignonne. Celle que tout le monde aimait. Celle que leur mère en premier lieu, aimait le plus. Elle était aussi, celle qui avait un père, on ne peut plus fier de sa nouvelle-née.
- Ta maman porte un prénom de fleur. Et pour toi, on a choisi un prénom qui vient du ciel.
Son père susurrait souvent ces mots en la berçant dans ses bras et en déversant sur son front, un amour incommensurable. Cajolée ainsi, sous son souffle chaud, Céleste était à l'abri de l'humidité ambiante. L'homme tirait autant de satisfaction de ces instants de tendresse, que la petite.
Dans l'unique pièce qui leur servait de maison, emmitouflée dans sa couverture qui grattait, Léone l'observait agir timidement. Il traversait d'un bout à l'autre l'espace étriqué, les pieds nus à même le carrelage fissuré, porté par une allégresse insouciante. Lorsque les infiltrations perçant jusqu'au plafond, laissaient échapper une goutte d'eaux qui s'écrasait sur son crâne, il ébouriffait ses cheveux en secouant la tête. Ça déclenchait l'hilarité de la petite. L'amour qui irradiait d'eux réchauffait leur foyer mieux que le vieux poêle, qui s'activait au coin, dans un crépitement continu.
Ce père était naïf, mais touchant.
Depuis son matelas bourré d'acariens, Léone se délectait du spectacle. À elle, on lui avait attribué un prénom de garçon. « Léon ». Ce n'était pas franchement joli, mais ça ne la gênait pas. Ça ne l'ennuyait pas non plus que leur mère préféra Céleste, car Léone aussi, préférait Céleste à tout le monde.
Depuis sa naissance, sa cadette la regardait comme nul autre ne le faisait. Il perlait toujours dans les prunelles de Céleste, un amour profond mêlé d'une admiration sans commune mesure pour son aînée. Lorsque Léone entreprenait de faire quelque chose, Céleste la fixait de ses grandes iris vertes, contemplative. Sa rétine absorbait les mouvements de sa grande sœur et sa mémoire les gravait méthodiquement. Puis, tandis que sa cadette s'imaginait seule, Léone la surprenait à reproduire ses propres gestes, un par un, à l'image d'un bambin imitant dans ses instants de solitude, son héros favori. Quand Léone prenait la parole, Céleste se taisait toujours et écoutait. L'enfant buvait son verbe et répétait mot pour mot les propos de sa sœur, lorsque des circonstances similaires se présentaient. La cadette était toujours du même avis que son aînée, car ce que disait son modèle devenait une Vérité.
Dans ses jeunes années, Céleste appela souvent Léone « maman ». La femme, consciente de ses carences éducatives, en pleura. Céleste cessa donc de se tromper et nomma dorénavant Léone, « Léon », comme leur mère.
En revanche, Céleste appelait toujours son père, « papa ». Ce fut alors Léone qui s'égara parfois et le nomma « papa ». Heureusement, ce ne fut pas sans déplaire à cet homme bienveillant. Léone nourrissait une profonde reconnaissance à son égard. Il prenait soin de leur mère, délestant les deux fillettes de cette lourde charge. L'homme occupait aussi dignement sa place de père auprès de Céleste et même parfois de Léone, une chose finalement peu répandue dans le Bas-Monde.
Bien entendu, ces belles années cessèrent le jour de sa mort.
Le père de Céleste était un adulte profondément bon, le seul que Léone rencontra de toute sa vie. Il était généreux et altruiste.
Ce fut ce qui le tua.
Pour survivre en ces citées hostiles, il existait des règles qui s'enseignaient de Cercle en Cercle. L'usage de l'écriture tombant dans l'oubli, ces percepts étaient enseignés oralement aux bons amis, aux enfants, à ceux que l'on souhaitait garder auprès de soi. Finalement, tous ici-bas connaissaient ces leçons.
Parmi ces adages, il en existait un que le père de Céleste décida d'ignorer le jour de sa mort :
« Aussi grave soit le sort de celui qui n'est pas de ton Cercle, détourne le regard. »
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Destination interdite (Tome 1 - La Tour)
Mistério / SuspenseAu coin des ruelles sombres et nauséabondes du Bas-Monde, calfeutré dans le noir, on le chuchote tout bas... « Les Tours sont maudites. » Mais personne n'en sait plus. Sur la Terre, les rumeurs, mythes et légendes se répandent dorénavant comme une t...