Destination interdite (Tome 1 - La Tour)

1 mois plus tôt - L'Omniscience

Céleste pignait pour sortir depuis des jours. Elle suppliait, encore et toujours ! Depuis l'incident provoqué par Ricker, Léone lui avait formellement interdit toute escapade. Tous, Makoo et Ania compris, craignaient qu'un intrus apprenne pour le Don de Céleste. Si l'information fuitait, les conséquences seraient dramatiques.

Léone savait que sa sœur ne lui désobéirait pas, mais les suppliques légitimes de sa cadette l'ébranlaient. La veille, elle avait entendu Céleste confier au P'tit Brice qu'être cloitrée au Terrier « l'étouffait ». Cet aveu lui avait fendu le cœur, la petite vivait affreusement mal l'enfermement. « Ce qu'elle me ressemble » s'était dit amèrement Léone. Cette sensation d'étouffement lui était familière, elle aussi était accro à ses excursions quotidiennes dans le Bas-Monde, le danger importait peu. Aussi l'ainée avait toujours pensé : « plutôt mourir, que survivre cloîtrée ». Mais maintenant que la sécurité de Céleste était en jeu, ce dicton lui posait un cas de conscience. Léone luttait contre le désir de calfeutrer l'enfant dans une cage de verre.

La jolie brune pénétra dans la cuisine de l'appartement pour y rejoindre ses mousquetaires. Sa main blanche repoussa la poignée de porte afin de les isoler. Attablée, Ania terminait la fricassée d'insectes de la veille, des ailes étaient coincées entre ses dents. Steak de lombrics, poêlée de cafards, bouillie de cloportes... Les espèces comestibles pouvant se passer de soleil étaient plutôt appréciées chez les consommateurs du Bas-Monde. Son assiette finie, la colosse rota bruyamment. Makoo leva son nez aquilin d'un bouquin ancestral, intitulé « Astuces pour réussir la culture de vos légumes sous LED ». Il étudia la jolie brune et capta aussitôt ce dont elle désirait leur parler. Ses mains noueuses refermèrent la quatrième de couverture du livre. Léone lâcha alors, la mort dans l'âme :

- On n'pourra pas garder Céleste enfermée pour toujours. C'est pas une vie...

Ania s'immobilisa, comprenant que le sujet n'était pas anodin. La rouquine, maladroite avec ses mots, abordait toujours les conversations d'importance avec une pincée d'appréhension. Un silence compatissant accueillit la confidence de Léone.

- J'me doutais bien que t'en arriverais à cette conclusion, admit soudain Makoo. (Le garçon se massa les tempes, pour se forcer à soupeser ses prochains mots). Ça fait deux mois maintenant que Ricker est mort et on n'a pas vu l'ombre d'un Faucheurs... C'est plutôt encourageant, positiva-t-il. Parait que les Faucheurs sont super précis et qu'ils agissent vite. Si on les a pas encore vu, c'est peut-être tout simplement qu'ils savent pas pour Céleste. Après tout, on n'a pris soin d'laisser aucun témoin.

Dans un flash, Léone se remémora la lame encastrée dans la gorge de Ricker et son visage creusé par l'horreur, imbibé de boue. Oui, aucun témoin... Grâce à Makoo. Elle avait toujours pu se reposer sur lui.

- Dire que j'pensais Céleste trop vieille pour choper le Don, maugréa Léone en sachant que son agacement ne résoudrait rien.

- Mortecouille ! P'tin, ça c'est vrai Léone ! Enragea Ania en écho.

Pester, râler, menacer, voilà une tranche de dialogue dans laquelle la colosse se sentait plus à son aise.

- J'vous l'ai dit plein de fois. Faut pas se fier à ces foutues rumeurs ! les gronda Makoo.

Et le métis avait raison. Comme trop souvent. Ania croisa les bras de colère devant sa poitrine et expulsa l'air de ses narines tel un taureau.

- Tu crois qu'on d'vrait tenter une sortie ? le questionna Léone.

- C'est ta sœur Léone... J'peux pas faire ce choix à ta place, s'excusa presque Makoo. Mais tôt ou tard, ça me parait inévitable. Pour l'instant elle t'obéit au doigt et à l'œil... Mais quand elle supportera plus d'être séquestrée, elle cherchera peut-être à sortir par elle-même. Seule. Ce serait l'pire des scénarios.