La rage martelait toujours le fond de ses entrailles. La furie avait simplement pris soin de l'enfouir profondément. Puisqu'il n'existait dehors, personne capable de la renseigner sur les Faucheurs, Léone avait jugé bon de s'isoler pour étudier son problème. Et les rouages de son cerveau, auparavant sclérosés par la colère, s'étaient remis à s'enclencher.
Au début, Léone avait voulu se forger une conviction. Camouflée dans le noir complet, éloignée de toute distraction, l'adolescente avait médité dans sa chambre. En mobilisant ses sens, son ciboulot avait tenté de rejouer au jeu du téléphone. Pour la première fois, il s'était aventuré à sentir aux lieu et place de Céleste, comme quand elles s'amusaient innocemment. Sa sœur se trouvait surement loin, maintenant, et Léone n'avait pas eu grand espoir de déchiffrer ses pensées, surtout si Céleste ne jouait pas simultanément. Mais déchiffrer ses pensées n'était pas son but. Tout ce que Léone avait désiré, avait été de... La sentir.
Juste cela.
Au terme de quarante-huit heures d'échec cuisant, tandis que la tâche commençait à l'accabler, sa boite crânienne avait finalement été envahie par une inexplicable sensation de contact ! Une sensation en tous points similaire à celle ressentie lors des investigations de Céleste.
Et Léone avait pressenti : « Céleste est en vie... Quelque part. ». Cette conviction inébranlable s'était forgée aux confins de son âme. Aussi, la brunette têtue était bien décidée à secouer l'univers entier pour la retrouver.À brûle-pourpoint Léone s'était ruée sur le toit du Terrier pour disséquer l'horizon et soupeser son affaire. Le Bas-Monde était vaste ; elle pourrait y enquêter le restant de ses jours à l'aveuglette, sans jamais rien y trouver. Sans compter que les ouï-dire rapportaient que les Faucheurs sévissait aux quatre coins du globe, sans que nul n'ait levé le voile sur ce mystère... Où que ce soit. En outre, comment échapper aux pièges des vielles villes sur de lointaines terres inconnues ? Son Secteur, en revanche, Léone le maîtrisait comme sa poche.
Au cours de sa sinistre enquête, son ciboulot avait absorbé bon nombre d'informations sans les traiter méticuleusement. Il était plus que temps de réfléchir. Certes, la plupart des rumeurs et légendes ne conduisaient nulle part. Léone cherchait néanmoins une faille, un détail qui lui aurait échappé.
En distinguant au loin le chef-lieu où la fête était infatigable, Léone songea au Warrigal. Les Faucheurs avaient également arraché un enfant à ce puissant Lieutenant, craint jusque dans les zones voisines. Sa rage avait déferlé comme la sienne dans les ruelles serpentant au pied du Terrier. Et malgré tous ses efforts, le Warrigal n'avait pas retrouvé son fils. Cet homme jouissait pourtant de ressources incomparables aux siennes. Il avait été capable d'orchestrer le meurtre du clown en moins d'une heure... Sans compter que Léone l'avait toujours jugé sacrément malin pour se maintenir au pouvoir ces trois dernières décennies. Tant d'autres succombaient. Lui, avait édifié une base fortifiée hors-norme et s'était adjoint les meilleurs guerriers du coin, au rang desquels figurait le célèbre Ralph le Croqueur. Il en fallait une bonne jugeote, pour manœuvrer ainsi. Décidément, Léone avait beau haïr le Lieutenant pour ses méfaits, elle ne pouvait s'empêcher d'admirer secrètement sa puissance et son intellect. Enfin, jusqu'à ce qu'il missionne trois guerriers pour escalader les Tours avoisinantes... Léone avait trouvé cette décision, basée sur de stupides superstitions, risible et indigne de son génie !
La détresse peinte sur le visage de la Favorite et les attentes folles que cette Dame plaçait dans l'escalade des Tours, se rappelèrent soudain à sa mémoire. Cette femme partageait l'intimité du Lieutenant, on les disait proches tous deux... À quelle information avait-elle eu accès pour placer tant d'espoirs dans cette expédition ? Dire que le Warrigal y avait envoyé ses meilleurs appuis... « Pourquoi ? » questionna Léone en serrant les molaires. Son ciboulot ne captait pas. Quel lien y avait-il entre la disparition de son fils et les Tours ? Existait-il une information à laquelle elle n'avait pas eu accès ? « Sûrement » songea la fille ténébreuse. Le Lieutenant avait des yeux et des oreilles partout.
Une fois ces présomptions posées, celles-ci ne la lâchèrent plus. Elles tournèrent et virevoltèrent sous sa jolie tête brune.
Toujours en tailleur sur son toit, Léone scruta l'édifice de pierre déchirant la ligne de l'horizon. La Tour. Cette Destination interdite. Le jour, la lumière du soleil ne perforait la météorite qu'en cet endroit, enrobant l'édifice d'une aura divine. La nuit, le monument se transformait en une masse sombre écrasant de sa puissance le Bas-Monde. Il fut fascinant de la contempler des cycles durant. Les Tours. Voilà une inconnue majeure de leur univers. Tout comme l'existence des Faucheurs. Puisqu'il s'agissait de deux inconnues de même ordre, existait-il nécessairement un lien entre elle ? Le Lieutenant avait certainement pensé qu'il ne pouvait en aller autrement...
Et plus Léone fixait le panorama déchiré par le tronc du monument, plus sa cervelle moulait une conclusion similaire. Dire que le cadavre de Ralph le Croqueur venait d'être retrouvé au pied de sa Tour... Laquelle était-ce, déjà ? « C'est celle-ci... » se rappela Léone et scrutant l'édifice hypnotique. Le goût du danger frétilla sur sa langue. Sa colère bouillit de déchirer ces légendes pour entrevoir la vérité.
Au Nord du Terrier, la Tour se dressait sous ses prunelles noires comme un défi. Elle l'appelait.
La rage de Léone brisa sa cage.
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Destination interdite (Tome 1 - La Tour)
Mystery / ThrillerAu coin des ruelles sombres et nauséabondes du Bas-Monde, calfeutré dans le noir, on le chuchote tout bas... « Les Tours sont maudites. » Mais personne n'en sait plus. Sur la Terre, les rumeurs, mythes et légendes se répandent dorénavant comme une t...