2 - Quand on veut, on peut

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Des tréfonds lui ayant accordé refuge, Léone revint doucement à elle. Elle sut ne pas être tout à fait morte. Dans cet univers étrange, à mi-chemin entre ombre et lumière, un choix se présentait. Renouer avec la vie, ou se laisser porter par la douceur infinie des limbes. Léone devinait que, si elle se réveillait, elle ne survivrait que peu de temps. Quelques minutes, une heure peut-être, si elle avait de la chance. Son énergie était réduite à peau de chagrin et le chaos l'enjôlait avec des promesses de repos éternel et de paix inaltérable.

Fallait-il revenir ?

« Ça non ! » Léone n'en avait franchement pas envie ! À quoi bon ? Quelques minutes de plus ne la conduiraient nulle part. Le combat était terminé ! Sans compter que survivre allait de pair avec cette douleur inhumaine qui la tiraillerait dès son réveil. Cette torture était de loin la pire qui l'ait touchée ! Léone ne voulait plus suffoquer, étouffer. Elle ne voulait plus respirer l'odeur de sa chair brûlée. Ni vomir la bille acide écorchant à vif les parois de son œsophage. Cette fois-ci, elle préférait encore déclarer forfait. Après tout, ne s'était-elle pas déjà bien battue ? Beaucoup auraient abandonné avant. Renfrognée, la jolie brune laissa donc le chaos envahir son esprit. Les limbes l'attirèrent dans un doux chant de sirène. Ce qu'elle se sentit bien, d'un coup. Merveilleusement bien. Léone se laissa glisser au cœur des profondeurs, quand un prénom fraya son chemin : « Céleste ».

« Non ! » se débâtit Léone intérieurement et ses tripes se tordirent pour l'enivrer de courage. Tant qu'elle pouvait se battre contre la mort, Léone poursuivrait ses recherches. Jusqu'à la toute dernière seconde. Quand bien même il ne lui restait que des horreurs à supporter d'ici là.

Alors, Léone fit alors ce qu'un nombre infime d'êtres humains aurait accompli à sa place. Elle s'extirpa du réconfort de la mort. Allongée sur le sol, la renarde poussa de terribles gémissements. Son cœur se remit à battre, péniblement. Sa cage thoracique accorda à ses poumons de respirer à nouveau.

L'oxygène revint.

Ses narines furent instantanément confrontées à l'odeur nauséabonde de sa chair grillée. L'inhumaine sensation de brûlure n'eut de cesse de l'attirer vers les ténèbres. Léone lutta du mieux qu'elle put pour dompter le mal. Sous le joug de son indomptable volonté, son corps défia tous les pronostics vitaux. Un observateur médical serait resté pantois devant le miracle qu'une force de caractère imposait à la biologie.

Et Léone retrouva ses esprits.

Combien de temps s'était écoulé depuis sa perte de conscience ? Quelques minutes ? Plusieurs heures ? Des jours ? « Non pas des jours... » conclut-elle. Son corps aurait trépassé de soif ou d'une hémorragie avant.

Au travers d'éclairs de douleur, Léone regagna la maîtrise de ses sens. Elle était allongée sur le dos. « J'suis sur la terre ferme » remarqua-t-elle, en se souvenant nettement avoir volé.

Puis, tandis que la mémoire lui revenait... « La Chose ! La Chose est encore là ? » Une angoisse la secoua sur-le-champ. Son ciboulot se concentra un instant et s'efforça d'être attentif à une présence autre que celle de la douleur...

Rien ne vint.

« La Chose est partie... » constata-t-elle. Cette idée lui apporta plus de paix.

Puis ses paupières s'entrouvrirent enfin... Et la surprise bouscula la souffrance. Dans son délire, tout n'avait pas été irréel ! Au-dessus de ses yeux écarquillés se déployait un paysage inédit. Léone n'avait jamais rien vu de tel, car ces lieux avaient disparu Bas-Monde depuis des dizaines ou centaines d'années. Mais sa cervelle se rappela la façon dont on les nommait. Incrédule, elle constata se trouver en pleine... « Forêt ».

L'arrière du crâne écrasé dans la terre molle, ses iris sombres balayèrent la cime de grands chênes se dressant majestueusement au-dessus d'elle. Leurs branches la couvaient avec bienveillance. Le feuillage épais laissait par endroit percer une lumière naturelle, dont les reflets provoquaient des scintillements. Que c'était beau... Le vrai Soleil éclairait-il aussi cette forêt ? « Sûrement » se dit Léone. Ce spectacle offrait une sérénité à mille lieux de sa torture corporelle. Il lui insuffla du courage. Néanmoins, elle ne devait pas gaspiller les minutes lui restant.

- Céleste, siffla-t-elle tout en expulsant du sang de sa bouche.

En prenant son élan, Léone roula sur le ventre dans un râle douloureux. Elle tenta de se relever sur son avant-bras gauche, mais retomba immédiatement le menton dans l'herbe. Ses molaires claquèrent salement. Léone comprit que son bras gauche était inutilisable, mais parce qu'elle était aussi déterminée qu'on le sait, elle se résolut vite d'utiliser le droit pour rehausser son buste. En plaçant sa main sous son nez, la brunette constata avec horreur l'état de son épiderme. Sa peau, habituellement si pale, était brûlée au point d'être entièrement recouverte d'écailles brunes. Par endroit, au creux de sa chair, Léone put distinguer ses tendons et son os. Elle n'osa pas imaginer à quoi pouvait bien ressembler le reste de son corps. Ni son visage... À l'instar de ces grands-brûlés, Léone était devenue monstrueuse. Elle ne serait plus jamais la jeune fille d'antan, celle dont le minois blanc avait conquis le cœur de Makoo.

Qu'importe ! Enragée, la furie ne voulut plus qu'avancer. Et Léone était bien décidée à ramper jusqu'à ce que mort s'ensuive, à la recherche de sa petite sœur.

Destination interdite (Tome 1 - La Tour)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant