Chapitre 38

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L'eau était glaciale. Mais elle était délicieuse, en même temps. De toute façon, elle n'était pas pire que celle dans laquelle je m'étais baignée quelques jours plus tôt, bien que plus propre. 

J'étais surprise de voir quelle quantité de saleté pouvait emmagasiner le corps. Quand j'étais entrée dans l'eau, j'avais frissonné, et aussi, j'avais vu l'eau claire devenir grisâtre sous le poids de toute cette crasse. Cela m'avait profondément dégoûtée.  

La poussière qui régnait ici était comme de la cendre. Elle allait partout, dans le moindre interstice, et refusait catégoriquement d'en démordre.

Le pire, ce fut pour mes cheveux. D'habitude, ils étaient frisés, comme un amas de laine, et formaient des boucles qui retombaient le long de mon visage. Mais à présent, ils étaient sales, et ressemblait à un mouton de poussière oublié derrière une port. Ils étaient malheureusement très nombreux sur l'astéroïde 345Z2, puisque ni Mint ni Mandragore n'appréciaient le ménage. J'étais donc habituellement reléguée à la tâche, qui ne me plaisait pas davantage.

Je frottais mon cuir chevelu aussi fort que possible, comme pour essayer de faire partir les pensées qui s'interdisaient de sortir de mon esprit depuis que j'avais appris cette nouvelle. Je le faisais si fort que je finis par en avoir mal. 

J'étais en colère. Ma tristesse avait laissée place à un énervement abondant, persistant. Contre Mint et Mandragore. Et les Chimères. 

Surtout contre Mint et Mandragore. Ils ne m'avaient rien dit. Ils auraient pu le faire. J'aurais sans doute fini par l'accepter. Je pense même que l'aurais bien mieux pris s'ils me l'avaient avoué dès le début. J'aurais été préparée. J'aurais su. J'aurais pu contrôler. 

Mais non. Ils avaient gardé un silence de marbre, de véritables pierres. Quand je pense que Mandragore me surnommait "sa petite louve", en parlant de mes yeux dorés, et que moi, je prenais ça pour un compliment... Elle aurait pu dire "Chimère", ça aurait été plus réaliste. Bien que beaucoup moins poétique que le calme suffisant et apaisant d'un loup. 

Je ne devais pas me concentrer là-dessus. Ce n'était pas le moment de me laisser submerger par mes émotions. C'était dur, pas évident, mais je n'étais pas seule. J'avais Armelle et Wings. Et Chioné, même si ce n'était pas exactement la même chose. Et j'avais aussi bien envie d'apprendre à connaître Grog. 

J'aimais marteler cela à mon cerveau, dans un esprit de contradiction : Je n'étais pas seule. Jamais, je n'étais plus seule. 

J'allais penser à la mission, mais j'allais aussi penser un peu à moi, et à mon autre but, c'est-à-dire comprendre les comportements humains, tisser des liens, découvrir et explorer. C'était mon souhait, au départ, et cela l'était toujours. Ce n'étais pas la priorité, dans l'immédiat, mais je voulais le faire. 

Avec eux, je me sentais bien. Parfois, un peu étrange, parce que je ne comprenais pas, mais d'autres fois, paradoxalement, je me sentais si libre, si légère, si normale. Comme si ce poids permanent sur mes épaules, cette épée de Damoclès, s'était soulevée, et me laissait tranquille. Quelques minutes, juste quelques minutes où je pouvais apprécier l'humour ironique d'Armelle et celui terriblement sarcastique de Wings. Où je pouvais écouter avec délectation Chioné me raconter ses expériences avec les bonbons de l'ancien monde, Armelle vanter les mérites des galeries, Wings pester après Grog, et Grog fusiller Wings du regard. 

Je n'étais avec eux que depuis un laps de temps court, minuscule dans toute une vie, mais je m'étais attachée à eux de manière irrémédiable. Il était comme un bateau, et moi une naufragée, une naufragée de l'espace, qui avait enfin quelque chose de stable sous ses pieds. C'était ça, la stabilité. Un rêve éveillé... 

Projet Earth (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant