Chapitre 34

32 3 0
                                    

Quand mon corps est passé par-dessus bord, que mes pieds n'ont plus été en contact avec le sol mais dans les airs, et mon corps, attiré inévitablement par la gravité, je me rappelle très bien de la dernière chose que j'ai vue, et entendue. Les yeux bleus de Wings, l'air horrifiés, et son cri, avec mon prénom à l'intérieur.

Et la seule réflexion que je me suis faite, c'est que personne n'avait jamais hurler mon prénom avec autant d'appréhension. 

Puis ensuite, mon estomac est remonté dans ma gorge. Cette sensation qu'on a, au creux du ventre. Quand on trébuche, qu'on tombe, ou qu'on a peur, tout simplement. Le cœur qui bat, si vite, si profondément, qui résonne, inlassable, trop vite. La douleur qui tord les boyaux, qui empêche de respirer tellement elle nous remplit. 

C'est ça que j'ai ressenti. Et c'était affreux, comme expérience. Je me suis demandé si j'allais mourir. C'est d'ailleurs la seule chose auquel j'ai pensé. Comment cela ferait. Où irais-je ? Qu'est-ce que penserais Mint et Mandragore en l'apprenant. S'il l'apprenait, car être isolé à l'autre bout de l'espace n'assurait pas la bonne communication de ce genre de nouvelle. 

Je me souviens assez peu de ma chute, sûrement parce que je ne réalisais pas totalement. Mais je me remémore très distinctement mon corps heurtant le sol de pierre, pour soutenir mon poids. Avec une chance inouïe, je n'avais pas atterri par terre, mais sur une sorte aspérité du flanc de la montagne. Un petit défaut qui m'avait sauvé. Malheureusement, il ne m'avait pas épargnée non plus. 

La brûlure dans mes côtés était horrible, et j'avais mal partout, surtout à la tête. Mais c'était encore vivable. Seul subsistait le contrecoup. Contrecoup qui me fit tout de même voir trente-six chandelles, et sombrer quelques minutes dans l'inconscience la plus profonde. 

J'ai fait un rêve. Bien sûr. Au moment où je dois être rapide, précise, pour ne pas inquiéter tout le monde, mon cerveau décide de me faire revivre un moment de ma vie, sur l'astéroïde 345Z2. 

J'avais neuf ans. C'était ma deuxième opération. Pour me modifier. J'étais inquiète, bien qu'on m'ait dit que je ne sentirais rien, et que tout se passerait bien. Mais je suppose que maintenant, dire cela aux gens ne sert plus à rien, surtout si c'est totalement faux. 

Cette opération, c'était pour mes oreilles. Les rendre plus performantes. Je n'avais pas les détails, Mandragore et Mint s'en chargeant. 

Je m'en souvenais comme si c'était hier... 

Je n'aime plus la couleur blanche. Je crois qu'elle est trop avec moi, ces temps-ci. Non, moi, ce que je voudrais, ce serait de jolis oreillers bleu ciel, une couverture en laine, et un chien très long avec des oreilles qui tombent. Oui, comme ça il me ferait des câlins, et je ne serais plus jamais toute seule, le soir, avec mon ombre. 

Je pensais à cela, quand, allongée sur mon petit lit, les cheveux emmaillotés dans une charlotte bleue, et vêtue d'une chemise de la même couleur, le spot, aveuglant, perça mes rétines. 

Je fermais les yeux, par automatisme. Puis, en attendant que Mandragore et Mint, je jouais à la capturer entre mes doigts, pour la cacher, pour qu'elle ne m'atteigne plus. 

Je finis par me lasser. J'avais envie de me lever, de partir vadrouiller. Mais je restais, parce que Mandragore m'avait dit de le faire. Et Mandragore avait toujours raison. Je le sais, c'est sûr, c'est Mint qui me l'a raconté. 

Alors que m'apprêtais à appeler mon instructrice, celle-ci arriva, méconnaissable derrière son masque blanc, et son équipement chirurgical. Pourtant, je la reconnu, grâce à son odeur vanillée si caractéristique. J'avais peur. Elle retira le morceau de tissu qui cachait son visage. On aurait dit qu'elle avait une barbe, mais je ne lui dis pas, pour ne pas la vexer. Elle me sourit délicatement, avant de se détourner pour fouiller dans la boîte de gants. Moi, je sentis mes yeux se remplir de larmes. J'avais peur, je ne voulais plus. 

Projet Earth (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant