Chapitre 9

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Pourquoi la malchance me poursuivait-t-elle, même sur Terre ?

C'est la pensée qui me traversa l'esprit, alors que les deux Chimères tournaient autour de moi, formant un cercle dans lequel j'étais le centre. Pour la toute première fois, j'étais la proie.

Proie qui pour l'instant, essayait de ne pas faire de gestes brusques, en fixant au loin des deux couteaux, cachés dans les hautes herbes avec toutes ses affaires. Ils semblaient me narguer, l'air de dire :

« Tu vas te faire déchiqueter par deux gros chatons, lalala ! Et moi quand ça sera fait, je vais bien me marrer ! ».

« Quelle nouille, j'aurais dû les emporter avec moi ! » me dis-je, trop tard, malheureusement.

La première Chimère me frôla de son dard empoisonné, feulant de rage.

J'avalais ma salive avec difficulté, claquais la langue contre mon palais avec un réflexe d'agacement, et, vive comme l'éclair, attrapais le dard qui se promenait un peu trop près de ma tête à mon goût. La texture était gelée. On aurait dit que je touchais de la glace. Or, je n'en avais touché que peu de fois, les seules fois étant quand je me prenais un coup particulièrement rude qui me causait des bleus, et que donc Mandragore ou Mint allaient me chercher une compresse remplie de glaçons bleutés.

Tout se passa en deux secondes : la Chimère, emportée par le poids de son dard vers le sol, se retrouva désorientée, alors que j'arrachais l'instrument mortel avec la simple force de mes mains. Du sang perla, je me jetais au sol dans un roulé- boulé parfait, le dard dans ma main gauche, pour le planter dans l'oeil de la deuxième Chimère.

Les deux crièrent de douleur en concert, l'une à cause de son membre arraché et l'autre à cause de son globe oculaire massacré.

Alors que les deux s'apitoyaient sur leur sort, je rampais au sol pour atteindre mon sac, mais au moment où ma main effleurait le premier couteau, quelque chose de mou et visqueux me souleva dans les airs comme une poupée de chiffon.

La tête dans le mauvais sens, enserrée par la queue de la deuxième Chimère, mon pied emprisonné dedans, je poussais un hurlement de surprise, avec une jolie vision de la dentition de la créature.

L'autrz Chimère commença alors à jouer avec moi, comme si elle était un chat, et moi son jouet volant. Me balançant des coups de griffes, que j'évitais aisément, elle commença à s'énerver en voyant que je glissais comme de l'huile entre ses pattes disproportionnées, elle perdit patience et me rentra dedans comme un taureau enragé.

Je volais dans les airs, et atterrit douloureusement dans les fougères, ne pouvant pas respirer et voyant trouble, sous le choc.

Je pris une maigre inspiration, les côtes en feu et les mains aussi, avec lesquelles je m'étais rattrapée, et constatais que les deux monstres m'avait éjectée deux mètres plus loin...

Et le pire n'était pas là, surtout quand je vis, sur mes jambes, le corps souple et visqueux d'un serpent, bizarrement semblable à celui que j'avais envoyé valdinguer ailleurs quelques heures après être arrivée. Décidément, il était coriace !

Cette forêt était vraiment dangereuse, je n'en prenais conscience que maintenant.

Le serpent siffla, et je m'aperçus que sa tête était à dix centimètres de la mienne, les crocs à découvert. Je pouvais même voir le fond de sa gorge d'ici.

Dans un réflexe prodigieux, je me saisissais de cette créature infâme, qui se tortilla entre mes doigts, quelques secondes avant qu'elle ne précipite ses crocs vers ma gorge offerte.

Le serpent encore dans les mains, j'entendis le rugissement grave et puissant des deux Chimères, qui, pressées d'en découdre, avaient parcouru les quelques mètres qui me séparaient d'elles.

Je me relevais, les côtes douloureuses, et je lançais d'un geste adroit le serpent vers les deux monstruosités, qui, surprises, eurent une seconde d'inatention. Pile ce qu'il me fallait.

Le serpent siffla en faisant un atterrissage forcé sur la tête de la Chimère estropiée, qui beugla de rage devant le reptile qui lui brouillait la vue, complètement paniquée. 

En ni une ni deux, je courus vers la première Chimère, pris appuie sur un arbre pour me propulser dans les airs, tout cela très rapidement, avant de lui tordre le cou aussi aisément que si j'avais tué un poulet. La créature se débattit férocement, bien décidée à se débarrasser de moi, mais trop tard, elle était déjà morte. La Chimère regagna le sol en écrasant le serpent, tandis que sa compagne la regardait, médusée.

Le souffle court, je profitais de cet instant, pour me précipiter vers mon sac, où les deux couteaux n'attendaient que moi. Cette fois, aucun aléa de m'arrêta, j'enserrais fermement les deux couteaux, et je me retournais, presque effarée par le combat mortel que je menais.

La Chimère, un œil crevé, peinait à me voir, et vacillait tant bien que de mal sur ses pattes, la vision obstruée.

J'en profitais, et lançais mon premier couteau, avec une adresse de professionnel (Mandragore m'avait vraiment bien entraînée), et celui-ci lui perfora la gorge. La Chimère écarquilla son unique œil, émit un gargouillis, alors que du sang toxique s'échappait de sa gueule. Elle tomba au sol aussi gracieusement que sa défunte camarade, raide morte.

Je restais cinq secondes debout, mon couteau dans la main, les jambes tremblantes, le regard fixé sur le cadavre de la Chimère, presque traumatisée.

Je glissais au sol, épuisée, en respirant profondément, tâchant de me calmer.

Trois... Déjà trois Chimères... Je ne pensais pas qu'elles étaient aussi... Hargneuses. D'après ce que j'avais pu constater, en plus d'être immorales, elles ne lâchaient jamais prise.

En revanche, ce qui m'inquiétait davantage, c'était que je ne pensais pas qu'il y aurait autant... Après, peut-être était-ce simplement une coïncidence, mais je ne m'étais pas beaucoup éloignée du cadavre de la première Chimère, celle que j'avais affrontée ce matin quand les deux autres étaient apparues.

Combien y en avait-il ?

Dès que cette question vint me torturer l'esprit, je me sentis brutalement piégée comme un rat. Elles étaient peut-être une centaine, et moi, j'étais seule... Et des dizaines d'humains sous mes pieds qui n'étaient pas au courant de mon existence.

Je tâchais de me calmer : Mandragore et Mint m'avaient modifiée génétiquement spécialement pour tuer les Chimères, comme une véritable machine. C'était ma destinée, et il n'y en avait pas d'autre. Je pouvais tuer les Chimères, alors que la tâche paraissait impossible aux humains. J'avais les capacités d'en affronter deux en même temps. Mais cinq, ou six, voire dix... Aucune idée... Elles étaient assez rapides, et curieusement intelligentes. Ça se voyait dans leurs yeux. Et puis, ce dard était vraiment traître, il fallait le reconnaître.

- Il faut vraiment que je trouve les humains... Je murmurais tout bas, comme si les Chimères pouvaient m'entendre. Mais un silence empoisonné régnait comme un seigneur noir sur la forêt touffue. 

Sitôt cette phrase marquée dans mon esprit, je repartis, mon sac sur le dos, mes couteaux dans les deux mains, aux aguets...

C'était à ce demander s'il existait une vie humaine, au milieu de cette jungle mortelle...

Projet Earth (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant