Je ne vais pas mentir, ça n'a pas été facile.
Oh non, ça n'a pas été facile de laisser mes deux instructeurs disparaître, ça n'a pas été facile de leur dire au revoir. ça n'a pas été facile non plus de ne pas en vouloir au monde entier, et d'ailleurs, j'ai lamentablement échoué à cette tâche.
Après avoir passé plusieurs jours à pleurer seule ou dans les bras de Wings, je suis passé à un stade complètement différent : celui de la véritable tempête furieuse, essayant vainement de me contenir, sans y arriver. J'étais dans une colère noire, contre la SYNE, les Chimères, mes amis, Alban, Edwige, et même mes propres instructeurs... J'étais folle de rage qu'on m'ait encore abandonnée, laissée toute seule. Je n'avais jamais ressenti un tel désespoir, une telle haine envers moi-même et envers les autres.
Puis, au fur et à mesure, je me suis apaisée. J'ai piqué quelques crises, j'ai hurlé sur pas mal de monde, tellement que je ne me reconnaissais même plus, moi qui ne m'énerve jamais, d'habitude. J'ai dis des choses que je regrette, même. Parfois, j'alternai entre les cris et les larmes, ne sachant pas sur quel côté m'appuyer.
Mais, quelque soit le moment, il y a une chose qui n'avait jamais changé.
J'ai toujours été soutenue. Wings, Armelle, Grog, Amaryllis, Chioné, Alban, Edwige, Eléos, même, ils ont toujours été là pour moi. Toujours. Ils ne m'ont jamais lâchée, ils m'ont tirée vers le haut, en me promettant que ça irait mieux, même quand je m'époumonai du contraire.
J'ai pris du temps à me souvenir de tout ce qu'il s'était passé dans les ruines de l'immeuble. J'étais tellement aveuglée par la haine, la rage, le désespoir et le malheur que mon cerveau, traumatisé, à préférer ranger tout cela dans une partie de mon esprit, avec une clé qu'il a jeté au loin. Mais j'ai fini par la retrouver, et j'ai su.
Je n'ai pas tué Annabelle, contrairement à ce que je pensais. L'idée de l'avoir fait m'avait toujours parue si abstraite, que je n'ai pas compris mon soulagement en découvrant enfin les images de la réalité. La vérité, c'était qu'Annabelle s'était suicidée.
Tout le monde s'en doutait un peu, sachant que sa blessure était par arme à feu, et que je n'en avais aucune, en plus d'avoir une éternelle méfiance envers ces choses. Non, c'était Annabelle qui l'avait sortie de sa poche, désespérée, alors que je restai stoïque, fixe, serrant le corps sans vie de Mandragore dans mes bras, mes yeux floutés par les larmes. La scène était invisible, et j'avais, sans doute volontairement, tout occulté en noir. Seul le coup de feu, résonnant parfois encore dans mes cauchemars, avait retenti. C'était la fin du souvenir.
Psychologiquement, ça avait été compliqué pour tout le monde. Wings et moi en particulier, ayant été au centre de cette apocalypse. Nous avions tous les deux, conséquences inévitables d'un tel traumatisme, développé une vraie terreur de l'obscurité, en plus de détester les espaces clos. Ainsi, c'était très souvent que nous nous retrouvions tous les deux, enveloppés dans une couverture de laine sur son balcon ou le mien, à contempler le ciel étoilé, serrés l'un contre l'autre, dans l'incapacité totale de ne serait-ce fermer les yeux.
Huit mois s'étaient écoulés depuis que ce tragique, horrible et terrible évènement avait eu lieu. Et pourtant, je ne m'étais jamais sentie aussi paisible. Mint et Mandragore me manquaient énormément, tellement que parfois, je me levais le matin en ayant la sensation de ne pouvoir rien accomplir. Pourtant, il y avait à faire : les Villiens devaient tout reconstruire, pour essayer de recouvrer une vie.
Personne ne savait comment faire, on n'avait plus rien, après tout. Plus de gouvernement, plus d'économie, plus d'institutions, plus de pays, plus de villes, plus rien. Tout était mort et enterré. Il s'agissait de prendre ce champ couvert de cendres, rasé par un volcan, et de le reconstruire, petit à petit, en laissant la terre se remettre d'elle-même, pour repousser de plus belle.
Tout notre petit groupe aidait donc à la reconstruction. Nous y passions des journées entières, nos rigolions souvent aux éclats lorsqu'Amaryllis se plaignait de sa petite taille pour attraper de gros blocs de pierres, que Chioné pestait à cause d'un rat qui lui était passé sur le pied. Il y avait aussi Armelle, dansant avec une grâce aérienne sur les routes abandonnées en chantonnant gaiement en ramassant poubelles, détritus, et en triant le tout.
Le travail était long, éreintant, et même si j'aidais beaucoup question rapidité grâce à mes facultés, j'étais aussi fatiguée que les autres. Pourtant, l'idée d'œuvrer pour quelque chose de nouveau, de mieux, une nouvelle marche à entamer, ça, c'était salvateur, et m'aidait à continuer, toujours, éternellement.
Je pouvais compter sur l'aide de Wings, bien sûr : il avait été un vrai pilier, ces derniers mois, un soutien inébranlable sur lequel je m'appuyai volontiers. J'étais aussi le sien, lorsque ça n'allait pas, et honnêtement, actualiser notre "statut" n'avait été qu'une formalité. Les gens qui n'étaient qu'amis ne s'embrassaient pas, à priori. Les amis n'avaient pas l'impression que leurs cœurs allaient se décrocher tant ils battaient vite en présence de l'autre personne. Une bien jolie mélodie...
En tout cas, j'étais ravie, folle de bonheur, d'être avec lui, de pouvoir compter sur lui, dans un esprit de confiance mutuelle forgée au fils des aventures, qui ne se rompait jamais. J'adorais la relation que j'avais avec lui, et je me sentais tellement épanouie et bien que je n'en changerai pour rien au monde.
Cela dit, s'il y avait un domaine sur lequel j'émettais encore quelques réserves, c'était sur Alban. Il m'avait avoué, comme ma mère me l'avait dit quelques jours plus tôt, son lien de parenté avec moi. Si au début, je n'avais pas pu m'empêcher d'être sèche, voire glaciale, incapable d'oublier son comportement et de l'imaginer autrement que comme un homme présomptueux et égoïste, j'avais été forcée de constater que, sans être un ange, Alban était le contraire du démon. Sous ses airs caustiques et égocentriques, c'était vraiment un homme bien, serviable, et très dévoué. Avec un caractère bien trempé, à l'image d'Amaryllis, mais il s'était adouci depuis ma rencontre avec lui. Je ne sais pas si je réussirai à avoir une relation oncle-nièce avec lui, et pour l'instant, ça me semblait bien très improbable, mais qui sait...?
Alors finalement, que pourrais-je dire ? Qu'actuellement, je suis assise sur un fauteuil très confortable, recousu par les soins d'Edwige, en fixant Wings, en face de moi, très concentré sur le livre qu'il a retrouvé dans une poubelle il y a quelques jours. Vous auriez dû voir comment il était heureux, c'était adorable... Bref.
J'écris dans ce petit cahier, sans savoir si quelqu'un le lira un jour. Sans doute que non, mais bon, ça me distrait, et conter toute mon aventure au travers de lignes de stylo bille bleu, avec des tonnes de ratures. J'y mettais, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, beaucoup de soin, et même si Wings aimait bien se moquer gentiment de moi, je savais qu'il était content et rassuré que je me trouve un moyen de distraction. Et à ce moment-là, je repensais à tout ce que nous avions vécu, avec l'impression d'avoir braver les montagnes.
Quand je me perds dans mes pensées passées, en me souvenant de ce qu'était ma vie il y a une dizaine de mois, je souris. Je souris, en me disant "Regarde tout ce qu'il s'est passé depuis !". Ma vie a basculé, mais dans le sens mélioratif du terme. Il y a eut des hauts et des bas, mais finalement, à force de persévérance, j'ai vu que tout pouvait s'équilibrer. Ce que je souhaite, maintenant, en ayant accompli la mission qui m'était destinée, c'est une seule chose : être heureuse.
Et j'y compte bien. J'y compte bien, parce que je le mérite, au même titre que chacun des survivants. Oh, il y aura encore bien d'autres péripéties qui m'arriveront, surtout avec le programme que moi et mes amis avons prévu pour dans quelques semaines, mais dans l'état actuel des choses, mon bonheur est presque totalement complet.
J'ai quitté mon astéroïde, je suis partie de l'espace, et je suis retournée sur Terre.
Et maintenant, oh oui, ça c'est ma seule certitude, je ne reviendrai jamais sur l'astéroïde 345Z2. Lui aussi après tout, il mérite sa liberté.
Comme nous tous.
FIN
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Projet Earth (en réécriture)
Science FictionIl y a cinquante-cinq ans, des montres ont envahi la Terre. Les Chimères haïssent les Hommes, et tuent tout ce qu'elles croisent. Sur l'astéroïde 345Z2, une jeune fille, nommée Brume, a été élevée toute sa vie dans le but de sauver l'humanité, devo...