Chapitre 21

32 3 0
                                    

Les yeux grands ouverts, peu fatiguée, je scrutais le ciel, pleine d'interrogations, comme souvent, ces temps-ci :

Il fallait dire que ma vie avait toujours suivit une sorte de fil conducteur, incassable et inébranlable. Ce fil était construit par Mandragore et Mint, ceux-ci jouant le jeu morbide des Parques.

Puis... Était arrivé le départ, un nouveau virage dans mon train-train quotidien. Une nouvelle raison de vivre, en quelque sorte. Mon but ultime, une planète, bleue, verdoyante, mais... Inaccessible. Ce paradoxe était presque ironique.

Mon lieu de naissance... Là où j'avais poussé mon premier cri... Où mes parents, ma famille, mes ancêtres avaient vécus...

Que serais-je devenue, si j'étais restée sur Terre ? Cette question me venait, quelques fois, sans que je sache réellement la réponse : comment pouvais-je prévoir des potentialités, il y en avait tellement... Serais-je morte, blessée, dans les Villes, luttant contre la mort, qui prenait en ce moment tellement de vies ?
Ou dans un bunker, sous terre, comme une taupe, à attendre l'aide qui ne viendrait jamais. Pourtant... Je me prenais à penser que mon existence sur l'astéroïde 345Z2 avait été luxueuse : stérile, parfois ennuyeuse, mais tellement mieux par rapport à d'autres.

D'accord, parfois la solitude que je ressentais était dure à vivre, j'ai eu des passes difficiles, comme tout le monde, j'ai fait beaucoup de portraits de mes parents, je suis passé par toutes les émotions possibles en pensant à eux...

Pourquoi moi ? Quand je me faisais des questionnements, comme je le faisais actuellement, je passais toujours par cette inévitable question : pourquoi moi, une simple fille... Ils auraient pu prendre n'importe qui, et il fallait que ce soit moi. Qu'avais-je de spécial ?

Je ne saurais jamais la réponse : les chances pour que je revois mes deux instructeurs étaient minimes, et celle de retrouver mes parents... Impossible. Et, jusqu'à preuve du contraire, personne d'autre que mes maîtres ne pouvaient m'aiguiller sur la question.

- Brume ? Chuchota une voix féminine, à ma gauche.

Je me tournais vers le visage éclairé par la lueur blanchâtre de la lune de Chioné : ses longs cheveux blonds étalés de tout leur long sur l'écorce rugueuse, elle ressemblait à un petit ange, malgré ses traits irrémédiablement crispés :

- Oui ?

- Écoute... Je voulais juste te dire que...

- Oui ? Je répétais, en m'accoudant sur la branche, attentive :

Elle eut un pauvre sourire et déclara :

- Ton histoire ne tient littéralement pas debout. Un conseil d'amie : dis-le, parce que sinon, j'ai bien peur que ton séjour ici soit de courte durée.

- Je... Quoi ?

Catastrophée. J'étais catastrophée. Je me sentais vraiment nulle. Pire que nulle, la nullité n'était rien comparé à l'émotion que je ressentais à cet instant. Je me sentais stupide, débile, idiote d'avoir pu croire l'espace d'un instant qu'ils goberaient mon histoire. Quelle crétine ! Je m'en donnerais des gifles !

- Écoute, Brume : il serait stupide de garder pour toi ta véritable histoire, au risque que, si tu réussis à créer des liens amicaux avec nous, ils soient détruits à cause de ton mensonge. Tu comprends ? Et puis... Entre nous, Wings à beau ne pas être très costaud, je ne pense pas qu'une fille de ton gabarit puisse soulever un soixante-dix kilos avec son avant-bras sans le casser. Sans vouloir te vexer.

- Je pensais que personne n'avait remarquer... Je murmurais, complètement dépassée par les évènements : mais comment diable...

- C'est simple, répondit Chioné, ayant visiblement deviné la question dans mes yeux, nous sommes éduqués depuis la naissance à déjouer le mensonge, toutes les tactiques possibles pour savoir la vérité. C'est très utile, crois-moi... Bref, toujours est-il que tu ne sais pas mentir, ma chère Brume, et ça, Armelle l'a très bien remarqué. Quant à Grog, il manque un peu de jugeote, et un peu trop de muscles, mais il n'est pas sot non plus. Pour Wings... Hum... Je pense qu'il est déjà sous ton charme.

Je sentais immédiatement mon visage chauffer de manière irréversible : je me sentais tellement....

Chioné, visiblement partie sur sa lancée, continua de plus belle :  

- Tu n'as pas à t'en vouloir, Brume, je pense que tes intentions ne sont pas mauvaises, mais si tu ne veux pas te faire des ennemis, je te conseille de nous dire très vite qui tu es, ce que tu veux et surtout d'où tu viens.

- Ah, parce que vous ne m'avez pas crue non plus quand je vous ais dit que je venais des Villes ? Je déplorais, en me mettant la tête entre les mains.

Chioné laissa échapper un rire, et je relevais la tête :

- Je pense... Que tu nous as sous-estimé.

- Oui, je le pense aussi...  On m'avait dit de mentir, Chioné, si cela ne dépendait que de moi, je raconterai tout, mais... C'est beaucoup trop dangereux.

Je couvrais aussitôt ma bouche avec ma main : voilà que les paroles sortaient toutes seules, maintenant : oh lalala... J'en racontais déjà trop !

- Écoute, dans les faits, c'est très embêtant, et je t'avoue que je n'apprécie pas trop que l'on me mente, mais... Brume, qu'y a-t-il de si terrible ? Je veux dire, qu'est-ce qui t'empêche de tout dire ? Quelqu'un te veut du mal ?

- Non, non, loin de là ! Je m'exclamais aussitôt en secouant vigoureusement la tête.

- Alors qu'est-ce qu'il se passe ?! S'impatienta la jeune californienne.

J'ouvrais la bouche, prête à répondre, quand soudain, un hurlement terrifié perça l'obscurité de la nuit :

Chioné et moi échangeâmes un regard effaré, surtout quand j'entendis un rugissement bestial, que je ne reconnus que trop bien : une Chimère.

- Et merde. Souffla la Californienne, se redressant de son couchage aussi vite que si une aiguille lui avait piqué les fesses.



Projet Earth (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant