Chapitre 55

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Je me réveillais en sursaut, un cri au bord des lèvres, l'esprit en vrac et les larmes prêtes à déborder sur mon visage brûlant. 

Désorienté, je cherchais instinctivement un repère des yeux, mais rien à faire, tout était plongé dans l'obscurité. Froide, malveillante, elle se resserrait autour de moi comme un étau, et il m'était impossible de m'en défaire.

Ma gorge était nouée, je peinais à respirer, après l'horrible cauchemar que je venais de faire. Je sentais mes membres trembler comme des castagnettes, j'avais beaucoup trop chaud, il faisait nuit, j'avais peur. Je me sentais comme le petit garçon qui attend que sa grand sœur arrive avec une lampe pour le rassurer. Sauf qu'Armelle dormait profondément, et malgré mon envie débordante de murmurer son nom, juste pour qu'elle me rassure, je ne pouvais pas. 

J'étais grand, maintenant, je savais me défendre et je n'étais plus le petit garçon éploré ayant besoin d'être rassuré parce qu'il avait peur du noir. 

Je n'arrivais pas à m'ôter ces fichues images de la tête. Celles du visage de cette femme, qui nous avait apostrophé alors que nous errions dans le couloir glacial comme des âmes en peine, ma vision rétrécie à cause de la chevelure d'Armelle, de ses sanglots contre mes oreilles, une torture à chaque instant. J'avais senti son cœur battre beaucoup trop vite, ce jour-là, j'avais ressenti une impression d'impuissance, je ne voulais pas comprendre, je ne pouvais pas. Un vide tellement énorme que je ne me sentirai jamais apte à le combler. Il serait éternellement là, comme un recoin vide, sans rien, avec le vide, des brumes du passé laissés à l'abandon.

Je me souvenais que par la suite, nous avions eu une chambre commune, tous les deux, et que plus personnes ne s'était souciés de nous. Nous étions les enfants des déserteurs, leur progéniture honteuse étrange, incompréhensible. Le frère et la soeur de pierres, les orphelins des ténèbres, les spectres nébuleux. Les abandonnés, les exclus.
C'était tellement fréquent, que des couples rêvant de liberté s'échappent des galeries, seulement armés de leur détermination et d'une arme à feu, et connaissent une fin tragique. Mais pas mes parents. Je ne pensais pas que mes parents pourraient s'enfuir à leur tour, nous laissant seuls, Armelle et moi, à la merci du Comité, avec des parents déclarés comme des déserteurs. Fuir à l'Extérieur sans objectif, sans aucune justifications était puni par l'interdiction de retourner dans les galeries. Nous étions à la fois piégés sous terre et sur terre. Dans les deux cas, l'étreinte se resserrait, insoutenable.

Quand j'étais enfant, je leur en avais beaucoup voulu, je les avais même haïs. Pourquoi nous avaient-ils abandonnés, Armelle et moi ? Qu'avions nous fait ? Puis j'avais grandi, mais mes questions étaient restées sans réponses, réponses que je n'obtiendrais jamais. Elles étaient présentes dans leurs esprits, à présent vagabondant je ne sais où, mais très loin d'Armelle et moi.  A un endroit dont on ne connaissait rien mis à part les légendes et les mystifications autour. Un lieu qui signait la fin de la course pour tout le monde.

Cette situation me déchirait et me rendait malheureux. Je détestais ne pas savoir, ne pas savoir si mes parents étaient en colère contre nous, s'ils nous aimaient sincèrement. Mais s'ils nous aimaient, pourquoi nous avaient-ils abandonnés ? Pourquoi ? 

Pourquoi nous laisser ici, seuls ? Pourquoi partir, devant un danger connu de tous, si imprévisible mais si courant ? Pourquoi étaient-ils partis ? 

Ils ne me semblaient pas si effarés des galeries, pourtant. Ils avaient eu deux enfants, ils étaient heureux. Je le voyais sur leurs visages, quand j'étais enfant, je distinguais leurs yeux pétillant de bonheur en m'entendant me plaindre, déjà si petit, ou en voyant Armelle ranger toute la maison parce qu'elle détestait le désordre, à peine haute comme trois pommes. Etait-ce mon esprit d'enfant qui avait tout imaginé ? Je me souvenais bien que ma mère nous racontait beaucoup d'histoires sur l'Extérieur, et d'ailleurs, celui-ci m'avait terrorisé pendant longtemps. 

Projet Earth (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant