Chapitre 67

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- Par ici, Brume ! m'interpella Edwige en obliquant violemment à gauche.

Je manquai de glisser sur l'asphalte humide, et, me rattrapant de justesse, suivis la tante des jumeaux en pestant et courant à en perdre haleine. 

En levant les yeux dans ma course, je distinguai le gris des nuages, et la lourdeur de l'air, qui pesait sur mes épaules comme si un dieu appuyait sur mes épaules. Un orage ne tarderait pas éclater, et je me fis la réflexion que ce serait bien plus rapide pour disperser le poison.

Je poursuivis aux côtés d'Edwige, qui courait à une allure soutenue, expirant lentement mais sûrement en allongeant ses foulées. Sans le décor environnant, on aurait presque pu penser qu'elle faisait un jogging.

Sauf que non. Nous nous rendions dans le dernier building encore debout pour dénicher le Diffuseur, tout en affrontant Chimères et patrouilles de la SYNE. Je serrai les dents. Penser à la SYNE m'avait renvoyée à l'entrée du refuge des Villiens, et donc à tous mes compagnons isolés.

J'étais anxieuse, et me sentais honteuse, de les avoir quittés comme ça. Et le pire, c'était le regard de totale incompréhension de Wings, qui s'était rapidement métamorphosé en panique. Il avait compris, et il n'aimait pas ça. Je ne pouvais que le comprendre, ça ne me plaisait pas davantage...

Rien que d'y penser, ça me filait des frissons. J'accélérai encore davantage, jusqu'à dépasser Edwige. Jusqu'ici, je me maintenais à sa hauteur par un accord tacite, mais en vérité, je voulais courir quelques mètres plus haut, presque seule. Je ne l'étais jamais vraiment, mais bon. Au moins, ici, je ne percevais rien, mis à part l'odeur de goudron mouillé et d'humidité, ainsi que mon visage transpirant à cause de l'air lourd, presque suffocant.

Je commençai à avoir mal au ventre. Et à la gorge, et à la tête. Et si j'étais malade ? Ça risquait de ne pas fonctionner, si ?

« Arrête, Brume, tu n'es pas malade, tu ne peux pas être malade. » me rappela aussitôt ma conscience, exaspérée et beaucoup plus cartésienne que moi.

Elle avait raison, j'étais bien loin d'être malade, seulement terrassée par l'angoisse. Après tout, il y avait de quoi, vu la situation. Mais il ne fallait pas y penser, pas y penser... 

Durant quelques millièmes de secondes, je fermai les yeux de toutes mes forces, comme pour obliger mon cerveau à retirer mes pensées anxiogènes, mais ce fut un échec. L'assaut des méandres de mon esprit était bien plus fort que ma conscience faiblarde. 

Que j'aurais aimé que Mandragore et Mint soient ici ! J'aurais pu leur dire que je savais pour mes parents, pour Dama et Démos, pour l'institut Gaïa, pour les gènes chimériques, pour tout. Absolument tout. Aurait-ce changé quelque chose ? Je n'en avais strictement aucune idée, le chemin me paraissait bien obscur pour parvenir à une quelconque conclusion... 

En reculant de quelques pas dans mon sentier imaginaire, je réalisai soudainement qu'en plus d'avoir rejoint ma terre d'origine, j'étais à la fin de mon voyage. Les kilomètres se raccourcissaient en simples mètres, les arbres s'effaçaient pour laisser entrapercevoir la vérité. 

J'en avais appris tellement sur moi-même, plus que je n'aurais jamais pu le présager. Si j'avais su...

L'aurais-je fait ? Oui, bien sûr. J'étais avide du monde, je n'en pouvais plus de cette monotonie éternelle, je voulais bouger, vivre, quitte à vivre quelques instants moins sympathiques. En occurrence, si je comptais les mauvais moments, ils étaient bien moins nombreux que les instants heureux.

Je secouais la tête, désabusée, je ne savais même plus quoi penser... Je me retournai prudemment vers Edwige qui recommençait à gagner du terrain. 

Projet Earth (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant