15e point - 1er set

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Tsukishima regarde longuement par la fenêtre.

Ça y est, l'hiver commence pour de vrai, et les arbres sont à nu. Et le vent souffle assez fort pour faire bouger lentement les épaisses branches, plus larges que ses jambes.

Il redresse ses lunettes, et rejoint Yamaguchi dans le couloir, une fois que la cloche sonne. Parce que s'ils ont le malheur de ne pas se retrouver dans la même classe cette année, rien ne les empêche de passer le plus clair de leur temps ensemble en dehors des cours. Aussi, ils se dirigent naturellement dehors, pour s'installer sur l'un des bancs, repas sur les genoux.

- Dis, Tsukki...

Il soupire, tout en préparant une remarque ironique ou sarcastique dès que son ami aura dit ce qu'il avait à dire.

- Tu crois qu'Atsuko va bien ?

La question lui coupe l'herbe sous le pied.

- Toi aussi, tu as remarqué ? laisse-t-il échapper.

Le brun écarquille les yeux, comprenant l'allusion.

- Ah, alors ça se voit, hein ? Je ne l'invente pas !

En passant outre le fait que son ami se préoccupe de la deuxième coordinatrice, Yamaguchi réfléchit longuement. Il y a quelque chose qui cloche, si Tsukishima s'en est rendu compte, c'est peut-être même pire que ce qu'il croyait.

De son côté, le lycéen pense la même chose. Il y a quelque chose qui ne va pas avec depuis la veille.

- Elle a peut-être un problème de famille. En même temps, ça peut se comprendre, elle n'avait pas l'air à l'aise de parler de sa sœur l'autre jour.

Le blond secoue la tête.

- Je crois que ça a un lien avec quelque chose qu'elle a vécu.

- Pourquoi tu pense ça ?

- Parce qu'elle avait l'air ailleurs quand on a parlé de sa sœur, et elle croyait entendre des choses, sur le trajet pour rentrer. Un peu comme une phase de déprime. Mais je ne sais pas d'où ça sort. Demande à Hitoka.

- Je le ferais, répond son voisin avec un sourire plus léger.

De son côté, Atsuko traverse la route en trottinant, sa main sur son sac en bandoulière.

Elle porte exceptionnellement une robe, et se rend rapidement à l'endroit indiqué dans le message.

Elle pousse la porte du restaurent discrètement, et précise au serveur qui la salue qu'elle est attendue par quelqu'un.

Il la redirige vers une table où l'attend une jeune adulte en tailleur pantalon orange, un chemisier bleu pâle en haut, et une cravate dénouée.

- Atsuko.

- Katsu-san.

Elle se lève pour la serrer doucement dans ses bras, et passe sa main familièrement dans les cheveux détachés de l'adolescente.

- Tu es superbe.

- Toi aussi.

- Se voir devient presque une grande occasion à elle seule, en ce moment. Autant mettre les petits plats dans les grands. Comment tu vas ?

- Eh bien... pas trop mal, je crois ? répond-elle en s'asseyant à la place libre. Et toi ? La fac ?

Si ses parents savaient que sa seule réelle amie est en troisième année de faculté, même si c'est avec deux sauts de classe, ils ne la laisseraient pas faire et sur ce coup-là, même son père ne pourrait pas en placer une pour elle, il serait contre.

Le fait est qu'elle a rencontré Katsu quand elle visitait ce qui devait être son futur lycée, quand elle était au collège, et qu'elle croisait Katsu sur le chemin du collège de temps à autre.

Elles s'étaient un jour mises à discuter, et sont amies depuis.

Si elle lui fait confiance, c'est parce qu'elles se connaissaient bien, bien avant qu'elle ne connaisse son nom de famille. Tout comme Atsuko ne savait pas encore qui elle était. D'ailleurs, à cette époque, elle n'était pas vraiment quelqu'un, mais commençait déjà à vendre ses propres livres : les histoires qu'elle écrivait, puis imprimait en braille pour son petit frère.

Une future écrivain avec une bonne célébrité, pour un auteur pourtant anonyme, et une fille de riche entrepreneur. Il y avait pourtant là de quoi faire jaser.

- Bon, alors. Raconte. Qu'est-ce que tu fais de tes journées ? demande l'aînée.

- Je vais au club de volley trois fois par semaine. Je suis coordinatrice suppléante. J'aime bien les membres. Ils sont agréables, et ils forment une bonne équipe. Mais papa ne s'est pas bien renseigné. Hitoka ne fait pas partie du club féminin. Elle est coordinatrice pour les garçons.

Kastu éclate de rire.

- Bon sang ! Et il te laisse y aller ?

- Je ne crois pas qu'il l'ai encore compris...

- Ah... Et donc tout va bien avec eux ?

- Oui, je pense. Mais j'ai encore un peu de mal...

- Raconte.

- J'ai paniqué. Quand Hitoka m'a proposé d'aller chez elle préparer un voyage, j'étais d'accord, mais ensuite, elle a parlé du fait que les amis se rendent services, peut-être pour quelque chose que j'ai dit, mais je ne sais plus... et ça m'a refroidie. En fait, ça m'a rendue malade.

- Chérie. Ce que nous vivons nous laisse des marques. C'est normal que tu aies du mal à vivre en société avec ce que tu as vécu. Mais si tu continue à vivre dans ta bulle, enfermée chez toi, et à éviter tout le monde, tu ne te relèveras pas. Ce n'est pas en restant assise que je me suis remise à marcher. Pour toi, c'est pareil. Je vais t'aider, si tu veux. Le temps que tu puisses le faire toute seule. Mais essaye. C'est le plus important.

Katsu marque une courte pause.

- Et puis, de toute manière, il y aura des gens, au programme avancé de mathématiques. Et eux, ils ne te connaissent pas. Reprends ce qui est à toi. Tu peux être la fille que tu es, ou passer ton temps à te cacher derrière la fille de que les autres croient connaître. Et crois-moi, ça leur fait un sacré choc, quand tu pètes un câble.

Atsuko la regarde, placide.

Lors d'un accident qui a coûté la vie à ses parents et rendu son petit frère aveugle, Katsu a aussi faillit perdre l'usage de ses jambes. Mais elle ne s'était jamais cachée. Son petit frère avait trop besoin d'elle pour ça. Et l'adolescente a toujours admiré ce courage.


« Vous n'allez pas gagner ce match parce que vous avez prié les dieux. » (Kiyoko Shimizu)

InéquationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant