Inéquation

21e point - 1er set

- Elle est en retard.

Trois jours sont passés depuis leur escapade en forêt. Et Atsuko n'est pas à l'heure, à leur rendez-vous habituel au coin de la rue. Peut-être est-elle partie en voiture, ou avant ?

Il secoue la tête.

Ce n'est pas son genre de faire poireauter les autres. Elle n'aime pas déranger.

Sauf si elle est malade. Peut-être qu'elle l'a dit à Hitoka et dans ce cas... Non, elle n'enverra pas de messages. Pourquoi envoyer un SMS et prévenir tout le monde à l'avance, alors qu'ils vont tous se voir dans quarante-cinq minutes.

Tsukishima soupire.

Il ne reste que deux options : ou elle est en retard, ou ce qu'Hinata appelle "le papa flippant" a décidé que leur dernière escapade le dimanche précédent était de trop.

- Je devrais lui envoyer un message...

Il se fige.

- Je n'ai pas son numéro de téléphone. Je devrais peut-être demander à Hitoka...

Il abandonne l'idée encore plus vite.

Quelle raison valable pourrait-il donner à la petite blonde pour qu'elle lui donne le numéro d' Atsuko.

Il range son téléphone.

- Je vais aller sonner.

Il retire son casque et entre dans la rue d'un pas décidé. Il sonne au portail, et se présente à l'interphone :

- Je suis un camarade d'Atsuko. Elle n'est pas encore là, est-ce qu'elle est bien partie de chez elle ?

L'homme derrière l'appareil ne répond pas et ouvre le portail.

Ce n'est qu'une fois que c'est fait qu'il dit :

- Non, elle est encore dans sa chambre, elle a dû oublier l'heure. Entre.

Il regarde la maison au bout de l'allée et soupire.

- On n'a pas idée d'avoir une maison pareille.

Il soupire encore et s'avance rapidement, avant que le portail ne se referme.

Tsukishima frappe à la porte, et c'est avec surprise qu'il voit le chauffeur qui les avait déposé plusieurs fois lui ouvrir.

- Tu es son camarade de volley ? demande-t-il pour être sûr.

Le lycéen hoche la tête.

- Oui.

- Laissez-le entrer, le pauvre, il fait tellement froid dehors... intervient une voix de femme.

Le jeune homme s'attendait à voir la maîtresse de maison, mais c'est visiblement l'une des domestiques.

Il entre, gêné, et montre au premier étage, suivit du regard des deux employés.

- C'est tellement gênant, grommelle-t-il en toquant à la porte.

- Oui ? demande une voix étouffée derrière.

Atsuko se lève quand elle entend frapper, et va ouvrir la porte. En général, lorsque les gens de cette maison frappent à sa porte, ils entrent tout de suite après, ou se mettent à parler.

Là, en l'absence de son, elle a dû arrêter ce qu'elle faisait, pour ouvrir le battant de bois à la volée, et se retrouver nez à nez, ou plutôt nez à torse avec l'immense volleyeur de Karasuno.

- Ah ? Ah ! réalise-t-elle soudain.

Elle l'agrippe par le bras pour le tirer à l'intérieur complètement paniquée, et lui demande précipitamment :

- Quelqu'un t'a ouvert ? Comment tu es entré ici ?

- Une femme et un homme. Ton chauffeur et l'une de tes bonnes, je crois. Tu es en retard. Tout va bien ? Tu n'es pas malade ou tu peux sortir ?

Elle secoue vigoureusement la tête en s'échappant à l'autre bout de la pièce, ouvrant une autre porte, et entrant dans une atmosphère différente, et se faisant arrêter avant même de faire le premier pas :

- Ne regarde pas ! Je me change.

Il se fige, et regarde le panneau sans un mot, dans l'angle le plus judicieux pour ne pas avoir de vue su la pièce qu'elle a investie.

- Alors tu étais juste en retard ? demande-t-il.

- Oui, je suis désolée. Tu aurais dû partir sans moi... et ne pas te déranger.

- C'est ce que tu aurais préféré ?

- Non, mais c'est ce que tu aurais dû faire, répond-elle en revenant dans la pièce. Je suis désolée, j'ai mal avancé mes devoirs, j'étais en plein... bref.

Elle termine de s'attacher les cheveux, qu'il trouve miraculeusement disciplinés pour des longs pans qu'elle n'a pas eu le temps de coiffer, et elle enfile des chaussettes.

- On peut y aller. Il faut partir avant que mon père...

- Atsuko ? demande une voix derrière la porte.

Elle écarquille les yeux et attrape vivement le lycéen, qu'elle enferme dans sa chambre à toute vitesse avant d'ouvrir.

- Papa ! Tu es rentré plus tôt que prévu...

- Ah... fait-il dépité. Un peu trop tôt, hein ?

- Quoi, euh non, c'est pas ça...

Elle essaye de s'expliquer tandis que Tsukishima jette un œil à la pièce.

Les couleurs sont vraiment très bariolées, et des stickers de papillons et étoiles décorent les murs. En fait, la seule autre chose qui est accrochée au mur est un tableau, une peinture, dans l'angle de laquelle il est signé "Ringo".

C'est un panier de pommes, toutes peintes dans une étrange couleur bleue, et avec un fond relativement flou.

Il jette un rapide coup d'œil à la tranche blanche pour lire la date.

- 2012. Elle avait onze ans.

C'est une peinture superbe, pour l'âge à laquelle elle a été peinte. Mais en regardant, il ne voit pas de matériel de peinture, ou d'autres créations que celle là, qui d'ailleurs, a été réparée. Il le voit à la fêlure du cadre.

- Mon père est parti, dit-elle en entrant soudain dans la chambre. On peut y aller. On va y aller en voiture, on sera en retard, sinon. Ne t'en fais pas, il ne te verra pas.

- Et s'il me voit..?

Elle secoue la tête avec conviction :

- Il ne te verra pas.

Il la suit jusqu'au garage, où la voiture tourne déjà.

Les deux adolescents montent dedans sans un mot, ni quand ils quittent la propriété, ni pendant le trajet, ou encore quand ils descendent, tous les deux devant l'entrée du lycée.

- Vous êtes venus ensembles aujourd'hui ? demande Yamaguchi surpris.

Atsuko laisse Tsukishima, qui ne se décide à répondre que par un hochement d'épaules.

Le soupir qu'elle pousse engage le deuxième lycéen à ne pas poser de questions, et ils rejoignent le gymnase dans un silence qu'elle commence à trouver plus que long.

- Au fait, demande le plus grand, tu n'en n'as pas parlé, de dimanche, en fait ?

Elle soupire une deuxième fois.

- Je n'ai pas vraiment envie de passer le reste de mes jours enfermée, donc, à ton avis ?

Il sourit vaguement, l'air ironique.

- Tu es une rebelle, ma parole.

- Si tu le dis.

« Le premier match, le deuxième, les play-offs, les nationaux... je vais tous les gagner. » (Tobio Kageyama)