17e point - 2e set

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Atsuko n'est pas en colère à proprement parler, Tsukishima peut se vanter de savoir lorsque ça arrive, non. Elle est passablement contrariée, et c'est ce qui fait toute la différence.

N'importe qui pourrait préférer essuyer la colère de quelqu'un plutôt que sa contrariété, la colère pure étant toujours plus courte, et toujours plus explicite.

En attendant, l'adolescente se mure dans le silence, et lorsque les deux lycéens se sont arrêtés chez eux, ils l'ont condamnée à terminer ce trajet sans un mot.

- Tu m'en veux ?

- Non.

- Mais tu boudes.

- Oh, je t'en prie, tais-toi, lui répond Atsuko comme si elle vient de cracher. Je ne veux pas que tu recommence quelque chose comme ça. Ne me menace pas, et ne débarque pas dans ma sphère privée comme si tu y étais chez toi.

- Je fais partie de ta "sphère privée, je te signale.

- Eh bien non, rétorque-t-elle sèchement. Tu t'y es invitée, tu y as pris tes aises, mais tu n'en fais certainement pas partie. Tu fais partie de ma vie privée, et de ma famille. C'est différent.

Sa sœur la regarde.

Elles se sont arrêtées dans la rue.

A une époque, elles étaient proches, toutes les deux. Mais depuis que la plus jeune a quitté l'école, et que l'aînée a pris son appartement, elles ont tout bonnement cessé de se parler en dehors des moments où elles se voyaient.

Alors même si le fait de se voir leur fait plaisir, la distance qui s'installe entre elles est de plus en plus inéluctable. Comme un élastique qui serait fatigué d'être sans arrêt tiré, et qui aurait finit par rester lâche, tout simplement.

Aki ne dit rien de plus. Et la plus jeune reprend la marche.

Avec une certaine fatalité, elle soupire, avant de la suivre.

- Tu as grandis, depuis la dernière fois, songe-t-elle avec amertume. Je crois que la seule chose que je puisse faire pour toi, c'est de te passer la balle. Tu ne m'écouteras plus te placer.

Il recommence à faire frais, le soir. Mais comparé à la chaleur suffocante de l'été qui s'installe, c'est agréable.

D'ailleurs, dans deux semaines, les matchs seront terminés. Et ils seront tous en vacances.

Ce qui veut dire...

- Le concours pour le programme avancé ne vont pas tarder.

Elle y songe sans vraiment être enthousiaste. Elle pourrait être au club un an de plus, si elle renonce à ce programme. Mais en est-elle à ce point ?

- Je vais le passer quand même. Et on verra. Je dois quand même avancer. On ne sait jamais.

Son téléphone vibre.

"Tu es rentrée ?", demande Tsukishima.

Elle ne répond pas tout de suite. Tout d'abord parce que ce n'est pas le cas, et ensuite, parce qu'elle n'a pas vraiment envie de laisser Aki savoir ce qu'il se passe dans sa vie.

Quand on prend l'habitude de se méfier des gens, il faut longtemps, avant de pouvoir leur refaire confiance. Aki n'a pas pris sa défense quand elle les a suppliés de ne pas l'empêcher d'aller au club. Sans Tsukishima pour la sortir de là, personne au sein de sa propre famille ne l'aurait aidée.

C'est douloureux. De se dire qu'on ne peut compter que sur quelqu'un qui ne nous a encore jamais trahis, mais qu'on ne connait pas bien. Ou pas assez.

Elle aurait aimée avoir l'appui de quelqu'un en qui elle avait confiance. Peut-être que ça aurait sonné d'une manière moins... vibrante.

Elle a encore reçu un message : "Pas encore ? Tu t'es disputée avec ta sœur ?".

Atsuko pince les lèvres et répond avec ironie : "C'est fou, on ne dirait pas, mais tu aimes mettre les pieds dans le plat."

"J'adore", répond-il tout de suite, "Alors ?".

"Oui. Mais je t'en parlerais plus tard.".

" Oh, tu passeras cette nuit ?".

Elle secoue la tête :

- Non mais ça va pas, non ?

- De quoi ? demande Aki à sa droite. C'est qui ?

La cadette verrouille l'écran sur la seconde, le visage impassible.

- Je vais dormir ailleurs, ce soir, dit-elle dix minutes plus loin.

- Hein ?!

- Ne m'en empêche pas, lâche-t-elle en faisant demi-tour.

- Mais où tu vas ?

Aki l'attrape par le bras, et l'autre se retourne, prête à lâcher une réponse cinglante.

Mais sa sœur semble sincèrement inquiète.

- Ah.

- Ah. Je l'ai...

Elle laisse son bras retomber.

- Désolée, je n'aurais pas dû t'attraper le bras. Mais ne t'en vas pas à cause de moi, d'accord ? Si tu veux, c'est moi qui m'en vais.

- Mais de quoi tu parles ?

- Je n'avais pas remarqué... je ne savais pas que c'était aussi important, pour toi... ce club... Je suis désolée. Je pensais que tu ferais sans doute tout ce qu'on te dis toute ta vie aussi, je m'excuses. Mais je ne veux pas qu'il t'arrive encore quelque chose parce que je n'ai pas fais assez attention à toi, tu comprends ? Je préfère savoir que tu es enfermée à la maison que d'avoir peur qu'il ne t'arrive quelque chose.

- Tu n'as pas le droit, personne n'a le droit ! s'énerve-t-elle brièvement. Vous devez me laisser tranquille. Vous devez me laisser me reconstruire. Je ne vais pas ailleurs pour dormir parce que tu es là. J'y vais parce que j'ai besoin de parler à quelqu'un qui m'écoutera, et qu'il n'y a personne de ce genre à la maison. Je m'en vais parce que je ne peux pas supporter que tu m'enferme à la maison, même pour me protéger. Ni toi, ni maman, ni papa.

- Atsuko... Je t'en prie...

- Ne me touche pas.

Sans s'en rendre compte, Aki avait tendu la main vers elle, et sa sœur avait brutalement reculé.

- Tu dois comprendre, dit-elle. Parfois, la dernière chose dont on a besoin, c'est des autres. Et j'en suis là, dans mon processus. C'est ce moment de la formule, où personne ne doit m'aider si je ne demande pas d'aide.  Je ne veux pas que ça fasse comme la dernière fois. Je dois apprendre à me défendre toute seule, parce que vous ne serez pas là à chaque fois.

- Ne dis pas-

- Et même si ça doit être dur, ou douloureux, je dois le faire, reprend-elle en reculant. Alors je le fais. Bonne nuit. Je vais chez quelqu'un en qui j'ai confiance.

Elle n'a pas prononcé ces mots qu'elle les regrette déjà :

- Et en combien de tes amies tu avais confiance ?

Le regarde de la plus jeune se durci.

- Une seule. Et elle est toujours là pour moi.

Elle fait définitivement demi-tour, et répond à Tsukishima :

" Je peux arriver maintenant ?".

"C'était si terrible ? Pas de soucis, passe par la porte, cette fois. Ma mère rentre tard et mon frère n'est pas là. Je n'aurais pas à te hisser.".

Elle a l'impression que chacun de ses pas s'ancrent dans le sol, le marquant de son passage.

- Tant pis. Je dois avancer.


« Un défi où, après s'être mis à genoux, il faut voir si on peut se relever ? Si vous restez par terre, ça veut dire que vous êtes faibles.» (IttetsuTakeda)

InéquationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant