5e point - 2e set

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Il passe la porte en trainant les pieds.

- Tsukki ! T'es en retard, ça ne te ressemble pas. Tout va bien ?

- Oui. Je suis repassé chez moi, répond-il d'une voix lasse. Par chez Atsuko, en fait.

- Si tu n'avais pas le temps, tu n'aurais pas dû.

- Je suis en retard parce que je l'ai attendue.

- Mais puisque t'es passé par chez toi, est-ce que tu as vu Atsuko sur le trajet ?

L'adolescent ne masque pas sa résignation, et soupire.

- Non. Pourquoi je l'aurais croisée ?

- Parce que vous prenez le même chemin...

- Elle n'a pas envoyé de message à Hitoka ?

Il le dévisage, surpris, et se tourne vers la petite blonde qui secoue la tête :

- Non, pourquoi ? Tu sais quelque chose ?

Tsukishima enfile ses baskets d'intérieur avant de répondre :

- Je ne sais pas quand elle pourra revenir. Enfin... si elle peut revenir. Mais j'ai pas vraiment envie d'être celui qui leur dira.

Les autres joueurs se sont regroupés autour de lui d'un air inquiets.

- C'est à cause de sa crise d'angoisse l'autre jour ? demande Kageyama.

- Ou de sa mère ? demande Nishinoya à son tour.

Le blond hausse les épaules.

- Ce n'est pas à moi de leur en parler. Je ne sais pas. Je ne vais pas non-plus leur dire ce qu'elle m'a...

- Oui, euh, apparemment, Atsuko ne pourra plus venir au club, dit Monsieur Takeda en entrant à son tour, gêné.

Il sort visiblement d'une conversation téléphonique qui laissait à désirer, et Tsukishima se met en colère en silence.

- Alors ça y est. On va devoir utiliser les signaux de fumée, finalement.

- Comment ça ?

- Qu'est-ce-qu'il s'est passé ?

Les questions fusent, mais la réponse sèche tout le monde :

- Apparemment, ses parents ne savaient pas qu'elle était dans le club masculin. A cause de ça, elle doit quitter le club. Je n'en sais pas plus, désolé.

Ils se tournent tantôt vers Tsukishima, tantôt vers le professeur, mais ni l'un ni l'autre ne semble vouloir en dire plus. L'entraînement reprend donc de mauvaise grâce.

Les jours suivants, ils enchaînent tous les allez-retours chez Atsuko, sonnent, et poireautent dehors.

Mais rapidement, un mois passe, et seul l'adolescent reste ponctuel, adossé au mur du coin de la rue, l'attendant comme d'habitude, à la même heure que d'habitude, et patientant parfois une heure.

Les matchs s'enchainent, et il est impossible de la contacter pour lui donner des nouvelles ou en prendre.

A ce rythme, l'équipe entière se ronge dans une morosité qui n'échappe à personne, et à une efficacité colérique dans le bloc de Tsukishima.

- Tu es en forme, ces derniers temps, sourit Hinata lorsqu'ils changent de côté de terrain.

Il l'ignore, et Yamaguchi se mord la lèvre.

- Je ne suis pas sûr que ce soit le cas.

Même s'il reste pour rattraper son retard après l'entraînement, il arrive rarement à l'heure, pour ne pas dire plus du tout depuis qu'ils n'ont pas vus Atsuko. Et si au départ Tanaka en profitait pour faire quelques blagues, les regards noirs et le temps qui passe ont fini par le rendre tout aussi maussade.

- Qu'est-ce que c'est chiant ! Personne n'a de nouvelles ?

- Personne, répond laconiquement Kageyama en se changeant dans le vestiaire.

Le coach les regarde remonter dans le bus avec un air inquiet.

Ses joueurs ne sont plus du tout concentrés sur le volley, et si même lui n'a pas pu prendre des nouvelles de la jeune fille, il doute qu'eux y arrivent. Il a même appelé son grand-père la veille pour lui demander conseil.

- S'ils ne la laissent pas revenir, tu ne peux rien y faire. Tu ne fais même pas partie du lycée. Que veux-tu que j'y fasses ? Laisse tomber, ou accroche-toi. Mais si t'accroches, tu n'as pas d'autre choix que d'appeler, encore et encore. Demande conseil à Monsieur Takeda. Lui, il sait faire, le harcèlement téléphonique.

Ça ne l'avait même pas fait sourire. Il s'était contenté de grommeler.

Et puis un jour, Tsukishima n'apparait pas à l'entraînement. Pas du tout.

Il est posté devant le portail, et sonne. Encore. Et encore. Il sonne assez de fois pour que l'on lui réponde à l'interphone :

- Ecoute, petit, si tu continue, on va devoir appeler la police. Mais dans tous les cas, tu ne rentreras pas.

- Monsieur Kaneko est parti. Vous n'avez rien à craindre à me laisser entrer. Elle n'a vu personne depuis un mois, vous allez vraiment la séquestrer à l'intérieur ?

On ne lui répond pas, et il rappuie sur le bouton.

- Petit...

- Je sonnerais jusqu'à ce que je la voie. Appelez qui vous voulez, mais je reviendrais, tous les jours s'il le faut, et je sonnerais, encore et encore. Et si vous ne croyez pas, dites vous bien que je suis bien plus borné que la plus grande tête de mule que vous connaissez.

Il n'attend pas la réponse avant de rappuyer sur le bouton, encore et encore.

Une dizaine de minutes plus tard, le portail grince, et le visage d'une femme qu'il reconnait apparait dans l'ouverture.

- C'est toi qui est venu la chercher l'autre jour, n'est-ce pas ?

- Oui.

- Et qui l'attend au coin de la rue.

Il ne se démonte pas :

- Comment elle va ?

- Elle reste enfermée dans sa chambre et se cache dans sa tanière quand quelqu'un entre. Viens.

Elle lui fait signe de le suivre.

C'est la bonne de la dernière fois. Une femme de près d'une bonne cinquantaine d'années, bien maquillée et coiffée, en tenue de travail.

- Vous avez entendu mes camarades sonner, eux aussi, non ?

- Ils ont rapidement arrêté de venir.

Il fronce les sourcils.

- Bien sûr qu'ils ont arrêté, ils habitent à plus d'une heure à pieds d'ici.

Elle le dévisage longuement, et ils entrent dans la maison.

Il ne lui laisse pas le temps de l'accompagner et monte les marches deux par deux pour arriver à la porte de la chambre. Il l'ouvre, et regarde l'immense pièce vide qui sert habituellement à Atsuko de bureau.

Il fait un tour sur lui même, abasourdi.

La femme entre juste derrière lui et se fige en le voyant la regarder.

Une courte question flotte dans l'espace en raisonnant contre les murs blancs.

- Où sont passés tous ses calculs ?


« Tout ira bien. Même si les dieux ne sont pas en votre faveur, vous n'avez pas à vous en faire. » (Kiyoko Shimizu)

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