23e point - 1er set

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Atsuko passe le plus clair de sa semaine entre les cours, les entraînements, et les matchs. Mais pour une raison qui échappe à sa propre logique, elle est totalement ravie.

- Voilà ce que ça donne ! sourit-elle finalement le jour de leur premier match. Pour le départ, attendez-vous à des canons, mais ensuite, ça risque d'être surtout juste après le filet. Et ils ne fatiguent pas facilement, c'est tout.

Le coach la remercie, et elle monte dans les gradins pour regarder la suite.

Le match dure deux bonnes heures, mais Karasuno parvient à l'emporter.

Elle sourit, nostalgique, les regardant sauter de joie.

Sa sœur aînée et son équipe font à peu de choses près la même chose, quand ils gagnent. Même si Aki est bien plus réservée qu'Hinata. Quoi que... n'importe qui serait plus réservé que lui facilement.

Elle descend les rejoindre après une brève attente, et son téléphone se met à sonner en cours de route.

- Allô ? décroche-t-elle sans regarde l'écran.

- Ma chérie ? Je suis venue voir ton match... tu es où ?

Elle se fige.

- Mon match ?

- Oui, c'était bien aujourd'hui, que ton équipe jouait, non ?

- Oui, mais je ne joue pas, moi, réplique-t-elle.

- Oh ! Tant pis ! J'ai hâte de rencontrer tes camarades !

Atsuko s'arrête, livide.

Ses camarades ? Mais ses camarades ne sont pas les filles avec lesquels ils pensent qu'elle passe du temps depuis trois mois ! Et ce n'est pas du la situation dans laquelle elle veut se retrouver !

" Des garçons ?", avait-elle demandé à cette époque-là. "Tout a commencé à cause d'une histoire de garçons ?".

Prise d'un violent vertige, elle s'accroche au mur, et s'arrête au beau milieu des escaliers.

- Non, je ne me sens pas bien, tu ne peux pas... juste venir me chercher ?

- Atsuko ?

Elle croise vaguement le regarde d'Hitoka avant de manquer une marche, se retrouvant sur les fesses à la suivante, la main trop tremblante pour tenir son téléphone.

Les autres arrivent, inquiets, et une vague supplémentaire de stress la submerge.

Il faut qu'elle sorte. Qu'elle s'en aille maintenant. Qu'elle sorte. Qu'elle sorte...

Respirer. Elle oublie vaguement de respirer et ferme sa main, se rendant compte qu'elle a lâché le téléphone.

- Maman, je te rappelle, dit-elle après l'avoir eu en main.

- Non, attends, Ats-

Elle repose l'appareil à côté d'elle, prise de sueurs froides.

- J'ai tellement envie de pleurer, tellement... Dehors, je dois aller dehors, articule-t-elle difficilement.

Tanaka et Ennoshita l'aident à se relever, et Hitoka prend son téléphone avant de les suivre.

Ils la font s'asseoir sur un banc, et alors que la petite blonde pose l'appareil fissuré à côté de l'adolescente, elle l'empoigne rapidement, et cherche un autre contact.

- Katsu.

Elle appuie sur le nom, et le numéro se compose. Une sonnerie, puis une deuxième...

- Tu peux... chercher ma mère, s'il-te-plaît ? demande-t-elle à Hitoka. Il ne faut pas... qu'elle rencontre les garçons. S'il-te-plaît...

Elle hoche rapidement la tête, et s'éloigne en courant, tandis que les trois garçons qui l'avaient accompagnée la regardent d'un air perdus.

- Est-ce que ça va aller ? demande le capitaine par acquis de conscience.

Si elle veut que sa mère ne les voit pas, ils vont devoir la laisser toute seule, mais ce n'est pas réellement une option envisageable si elle ne se sent pas...

Atsuko acquiesce vigoureusement en appelant une deuxième fois le numéro qui ne décroche pas.

Et alors qu'ils font demi-tour :

- Atsuko ?

- J'ai... désolée...

Elle fond en larmes, repliée sur elle-même, pendant que la voix au bout du téléphone comprend la raison de son appel.

- D'accord, respire profondément. Où est-ce que tu es ?

- Dehors.

- D'accord. Tu es toute seule ?

- Oui. Hitoka est partie chercher ma mère.

Katsu ferme les yeux, se passant une main fatiguée sur le visage.

- Elle est venue voir votre match ?

- Oui.

Elle est sortie de l'amphithéâtre quand son téléphone s'est mis à sonner, désactivant le mode "ne pas déranger" au bout du deuxième appel.

La dernière crise d'angoisse de son amie remonte à tellement loin qu'elle ne pensait pas qu'elle en referait une aussi tôt. Elle pensait que c'était terminé. Comme quoi, après "fin", l'histoire continue.

- Je vais te raconter une histoire, d'accord ? Ecoute le son de ma voix. Tout va bien se passer.

L'étudiante se racle la gorge et s'assoit sur un banc pour commencer, posant sa voix grave comme elle le fait quand elle raconte habituellement une histoire. Sa "voix de narratrice", d'après son petit frère Haru.

- Il y a longtemps, avant que les temps ne soient comptés et que la première horloge soit mise en place, vivait un peuple souterrain. On les appelait les Epilviens. Ils étaient tout à fait comme nous, si ce n'est qu'ils ne sortaient jamais à la surface, et que les seules étoiles qu'ils voyaient, étaient les lumineuses pierres accrochées tout au long des parois rocheuses qui leur servaient de ciel. Les Epilviens avaient une de ces pierres accrochées autour du cou dès leurs huit ans, et ils prenaient un malin plaisir à les astiquer le soir. Enfin, pour eux, ce n'était jamais vraiment le soir, il n'y avait que le grand sablier comme point de repère.

Atsuko ferme les yeux, bercée par le son de sa voix. C'était toujours comme ça, avec elle. Elle commençait à raconter, et plus rien n'existait autour de la bulle qu'elle créait. Pas même ses angoisse, ou même ses mathématiques. Rien. Rien que le son de sa voix de conteuse qui pouvait calmer des tempêtes, dompter des rois, et pardonner des peines.

Katsu a toujours eu ce don de monter de somptueux décors de toutes pièces, par pour s'échapper de la réalité, mais pour s'en protéger. Pour protéger son petit frère du monde.

L'adolescente essuie ses larmes et écoute attentivement les péripéties de ces créatures épilviennes, qui avaient un ensemble de mots pour dire "mots qu'on ne peut pas prononcer", pour dire toutes les insultes possibles, et qui signifiaient bien assez la colère ou la douleur pour qu'on n'aie jamais envie d'en varier le son.

- Comment tu prononcerais ce mot ? demande-t-elle, s'autorisant à l'interrompre.

Katsu sourit de l'autre côté du téléphone.

- Elle s'est calmée. Je dirais...Ishëchom. Littéralement, "l'ensemble de mots qu'on ne peut pas dire".


« L'avenir appartient à ceux qui croient en la beauté de leurs rêves. » (Shoyo Hinata)

InéquationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant