3e point - 2e set

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Atsuko dort depuis longtemps.

Ce n'est pas le cas de Tsukishima. Et il est déjà cinq heures du matin.

Il l'a écoutée parler jusque vers trois heures, avant qu'elle ne pique du nez. Elle lui racontera la suite en se réveillant.

En attendant, il cogite. Beaucoup, et à s'en donner mal à la tête.

Si bien que quand elle se réveille le lendemain, prenant toute la place du lit au lieu de sa moitié à l'envers, elle se redresse en sursaut.

Il est en fait assit à son bureau, en train de faire ses devoirs.

- Tu peux raconter la suite ? demande-t-il.

Elle le dévisage, renifle et replace ses cheveux derrière ses oreilles du mieux qu'elle peut.

- Oui, oui.

- Si tu essaye de te rhabiller correctement, on pourra faire croire à ma mère que tu es arrivée il y a quelques temps.

- D'accord.

- Je te ferais aller dans la cuisine pour ton petit déjeuner, t'inquiète.

- Tu as été agent secret dans une autre vie ? sourit-elle en se rattachant les cheveux.

Il la regarde attentivement, et remarque qu'elle n'est pas habillée comme d'habitude. Dans la cohue de la veille, il aurait juré qu'elle portait un short, miraculeusement transformé en jupe dans leur sommeil.

Il ordonne à son cerveau de changer de focalisation, et Atsuko est prête a être potentiellement reçue par le reste de la famille.

Le grand blond se lève, ouvre la porte pendant que l'adolescente tire la couette sur le lit, et ses chaussures à elle dans une main, il lui fait signe de l'autre de la suivre.

Ils se rendent à pas de loups dans l'entrée, et il range les chaussures dans le placard, tandis qu'elle appuie son parapluie contre l'angle derrière la porte.

Il est encore un brin humide, seul signe qu'elle a passé la nuit là, et au moment où ils entrent dans la cuisine, la porte principale s'ouvre.

- Ah ! Kei ! Tu es réveillé. Viens m'aider à ranger les courses.

Il soupire discrètement de soulagement.

Laisser une fille entrer chez soi la nuit, c'est tout une aventure.

- Bonjour maman.

Elle entre les bras chargés de courses, qu'elle laisse tomber littéralement à la seconde où elle voit Atsuko.

- Tu as ramené... une fille ?

- C'est une camarade, maman, soupire-t-il en se penchant pour ramasser les sacs, alors qu'Astuko s'est jetée dessus en premier, tout à fait gênée.

- Mais c'est quand même assez incroyable ! Tu ne ramène que Yamaguchi depuis la primaire...

- Maman...

- Comment tu t'appelles ?

- Elle ne s'appelle pas, réplique-t-il en posant les sacs qu'ils avaient dans les mains.

Il attrape la main d'Atsuko au passage, et sort de la pièce avec elle.

- Je te ramène à manger, attends dans ma chambre.

- Oh ! Parce qu'elle va dans ta chambre ? demande son frère levé du canapé entre-deux.

Elle sent la main de Tsukishima se resserrer plus fort autour de la sienne, et elle dit dans un élan rapide :

- Vous savez, madame, l'intérêt n'est pas quelque chose qu'on peut se permettre de nourrir quand on ne sait pas de quoi il est question. Mais je suis ravie de voir que le sarcasme n'est pas héréditaire.

La femme se met à rire, et l'adolescent se détend légèrement, tandis qu'il ouvre la porte.

- N'en fais pas trop, dit-elle avant qu'il la referme. Je n'ai pas faim.

Il soupire et elle se retrouve seule avec ses pensées.

Il y a eu pas mal de choses, pour l'aider à avancer. Mais c'est la première fois depuis qu'elle s'est confinée chez elle qu'elle peut à nouveau prendre le courage de faire les choses comme elle le veut.

Parler de cette affaire avec quelqu'un qui va l'écouter sans la juger, mais en qui elle a tout de même confiance, c'est ça, pour elle, "tout déballer". Elle ne l'avait pas fait avec Katsu. Son amie s'en était rendue compte d'elle même, juste avant de terminer le lycée.

- Qu'est-ce que tu as fait, après.

C'est la première chose qu'il demande, la porte à peine refermée, et le plateau de repas posé sur le bureau.

- J'ai... arrêté le collège. Je n'avais plus ma bouffée d'air le soir. Et je me sentais encore plus seule, alors que toute ma famille commençait à s'inquiéter. Et puis un soir, je suis rentrée à la maison, et ma mère était au téléphone avec l'un de mes professeurs, hystérique. Mon père tentait de la calmer, pendant qu'elle écouter l'argumentaire selon lequel je me faisais peut-être harceler à l'école, mais que personne n'avait semblé le remarquer. Elle-même n'appelait pas pour les prévenir parce qu'elle y croyait, mais parce qu'une autre élève lui en avait parlé.

Elle soupire.

- C'est bizarre, les question stupides qui sont posées dans ces cas là : "Vous étiez au courant ?", "Vous a-t-elle parlé de quelque chose ?", "Ce ne sont que des enfants, peut-être qu'il ne s'agit que d'un jeu, vous voulez vraiment aller aussi loin ?". J'en étais arrivée au moment où je sursautais quand on m'adressait la parole. J'ai arrêté de faire semblant. A ce moment-là, j'avais envie qu'on me prenne dans ses bras, et qu'on me dise que ça allait passer. Que c'était juste un cauchemar, mais que comme j'avais été courageuse jusque là, j'avais passé l'épreuve, que je pourrais retourner à l'école, et me faire pleins d'amis.

- Ce n'est pas ce qu'il s'est passé ?

- Je n'étais pas prête à retourner à l'école, et surtout pas toute seule. Quand Katsu est partie, nous avons fait la même chose. Je n'avais plus rien à laisser derrière. Mes parents n'ont pas voulu entendre parler de retourner à l'école, ou de me refaire sortir pendant un moment. Je me sentais tellement à l'aise à la maison que j'ai arrêter de songer aux amies, et à tout le reste. Je me suis peu à peu enfermée dans les mathématiques. Et un jour, j'ai vu des lycéens passer dans la rue. Et je me suis sentie à nouveau seule. Les humains ne sont pas faits pour la solitude. Je me suis mise à sortir, aller au café, à la librairie... Et mon père m'a proposé de rejoindre le club, connaissant la mère d'Hitoka, et pensant qu'elle faisait partie du club féminin. Ma sœur aînée joue au volley. Elle a tellement le compas dans l'œil et elle est si intelligente qu'elle peut prévoir avec précision les chemins pris par une balle. J'ai envie de rester. Mais mes parents sont restés sur l'idée... enfin, ma mère, est restée sur l'idée que c'est à cause d'un garçon, que ça a commencé. Et elle ne veut rien entendre sur le sujet. Même si c'est vrai. Ce n'est pas des garçons qui m'ont fait le plus peur. Et reprendre une socialisation normale avec vous, c'est assez rafraichissant.

- Je peux te poser une question ? demande-t-il après un temps de réflexion.

- Je t'écoute.

- Pourquoi les mathématiques ? Tu n'as pas fait de la peinture, à un moment donné ?

- Ah... ça... je vais te raconter. Peut-être que tu comprendras mieux quel genre de personne sont mes parents, sourit-elle tristement.


« Je ferais la passe à n'importe qui susceptible de marquer. » (Tobio Kageyama)

InéquationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant