Je ne regarde jamais rien.
Je n'aime pas regarder les choses avec trop d'attention, quand elles ne me concernent pas. C'est peut-être pour ça que je n'aime pas quand on me fait remarquer, justement ou pas, que je n'ai pas vu certaines choses, certains changements.
Mais ce n'est pas non plus quelque chose que je trouve horripilant. Seulement... C'est un brin désagréable.
C'est pour ça que lorsque j'écoute de la musique, et particulièrement en revenant de match, que je ne regarde pas par la fenêtre. Je regarde mes pieds.
Le silence ou l'absence de précision sur les choses me permet d'être au calme, mais si l'environnement autour de moi est calme lui-même, je trouve ça angoissant. C'est le genre de situation qui me donne envie de créer du mouvement, pour moins avoir en tête que c'est un moment dérangeant.
Tout le monde ne peut pas comprendre ça. J'en ai conscience.
C'est peut-être ce qui m'isole, de temps à autre.
J'ai mis mes écouteurs tout à l'heure pour qu'on me laisse tranquille. Mais à présent, le bruit semble s'être arrêté.
Je relève un côté, et remarque que mis à part le vrombissement du moteur, et du bruit des voitures qui passent près de nous, il n'y a plus le même grabuge que tout à l'heure.
Je soupire, et remets mon casque.
Trop calme.
Le bus semble se balancer, poussé par les rafales de vents que je n'entends pas.
Quand ce n'est pas la pluie, en cette saison, et dans cette région, c'est le vent. Un vent à vous donner mal à la tête si vous restez trop longtemps dehors.
Il y a des jours où ça me fait penser que j'ai de la chance de ne pas aimer sortir plus que ça. Je suis sûr qu'il y a des gens qui adorent être dehors, mais qui reviendraient avec la migraine sans hésiter, si ça leur avait permis de profiter de l'extérieur.
Lorsque nous arrivons, tout le monde descend avec un air de zombie, et des miaulements enroués en guise de "bonsoirs", ou de "rentrez bien", ou encore de "je te raccompagne ?". Des sons languissants qui m'agacent en même temps qu'ils me dérangent.
Nous sommes anormalement fatigués, depuis le match de la semaine dernière contre les verts. Depuis, nous avons eut deux matchs. Aujourd'hui.
Dieux que c'était épuisant !
Je fais rouler mes épaules, et glisse mon sac sur l'une d'elles.
Je n'ai pas envie de rentrer, malgré la fatigue. J'ai encore envie de jouer. De sentir le ballon sur mes mains. Sauter dans tous les sens pour le rattraper, le frapper, l'arrêter.
Et en même temps, j'ai le sentiment que je n'arriverais pas à lever le pied assez haut pour monter le perron de chez moi.
Mon regard s'est accroché au gymnase, ou plutôt à son ombre, maintenant qu'il fait nuit, et je soupire.
Le volley...
Je fais le trajet jusqu'à chez moi en silence.
La tranquillité environnante me perturbe. Je préfères garder mon casque. Je suis trop fatigué pour lutter contre, ce soir.
Ce n'est pas ce qui m'empêche de dire "au revoir" à mon camarade, ni de poursuivre la route, dépassant ma maison.
La personne à ma droite ne dit rien, et je retire mon casque, avec un peu de réticence.
Il n'y a qu'un seul cas, à ma connaissance, où je n'ai pas cette sorte d'angoisse liée au silence. Celui où sa voix me parle, ou tout simplement, quand ses pas se calent sur les siens, ou que les miens se calent sur ses pas. C'est tout ce qu'il faut.
- C'était un bon match, aujourd'hui. Enfin, le premier aussi.
- Oui, je réponds. Mais ça aurait pu être mieux.
- Tu as l'air complètement éteint. Tu vas pouvoir rentrer ?
La plaisanterie ne me fait pas rire.
Je ne sais pas, combien de temps je vais mettre à rentrer ?
L'idée même de devoir faire demi-tour après me fait trainer les pieds.
- Je pense que ça ira.
J'ignore son regard dubitatif, et prends la peine de préciser :
- De toute façon, ce n'est pas toi qui va me porter pour le retour.
- Et pourquoi ça ?
- A quoi ça sert que je t'accompagne, si c'est pour me ramener chez moi, et retourner chez toi ? je demande en essayant de comprendre la logique.
- Le simple fait que tu pose la question prouve que tu es fatigué. Rentre chez toi. Je suis capable de faire le trajet.
- N'importe quoi. Tu serais capable de te perdre, dans le noir.
Je n'ai pas eu le temps de voir son poing qu'il s'abat contre mon épaule.
Je proteste :
- Hé ! Non mais ça ne va pas ? Tu veux que je te plante là, ou quoi ?
- J'ai dit que je pouvais me débrouiller, c'est toi qui t'entête comme ça ! J'ai fait plus de fois le trajet entre le centre-ville et chez moi que de toi de chez toi à chez moi ! Je sais le faire, tu sais !
- Oui, oui, je te crois.
Ah. Je commence à faire du mouvement, ça y est.
Mais à mon habituelle surprise, il en faut plus pour lancer sa répartie : je ne l'entends plus se plaindre.
Nous faisons le trajet en silence, encore une fois.
Puis, devant son portail, la discussion reprend doucement, par son commentaire.
- Tu devrais vraiment aller dormir.
- Je sais.
- Tu as vraiment une sale mine.
- Je sais.
- Alors file.
- La porte n'est pas encore ouverte.
Son rire a beau être léger, il retentit dans toute la rue.
- File.
- C'est toi qui me retiens-là, je fais mine de protester.
- Menteur !
La porte s'ouvre, et elle entre, après un dernier sourire.
Je fais demi-tour, les mains dans les poches, et après avoir replacé mon casque sur mes oreilles.
Je fais quelques mètres, et une main sur mon épaule me fait sursauter.
- Tsukishima !
Je me retourne, et fais glisser le casque sans éteindre la musique.
- Quoi ?
Derrière, la porte du portail est savamment coincée par son sac de sport qu'elle n'a pas utilisé, de toute façon, mais qu'elle s'entête à emmener.
- A demain, me sourit-elle.
J'ai beau faire comme si j'étais contrarié qu'elle m'ait dérangé, je lui réponds, à ce calme bruyant :
- A demain, Atsuko.
« Tant que je continue à essayer, je peux le faire. » (Ryunosuke Tanaka)
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Inéquation
FanficPasser le temps. Passer le temps en se faire des amis. C'est la mission qu'Atsuko s'est confiée cette année pour que ses parents la laissent tranquille, entre deux révisions pour intégrer ce superbe programme de mathématiques avancé. Et pour la prem...